Situation des EHPAD : une bombe sociale à retardement !

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La récente annonce d’une enveloppe de 650 millions d’euros pour soutenir les EHPAD (à hauteur 190 millions pour les EHPAD publics et 460 millions pour ceux du secteur privé), en parallèle d’une hausse de 5 % dédiée au secteur privé associatif, a été accueillie avec réserve par le SYNCASS-CFDT. Cette annonce de mesures dites d’urgence n’est qu’une nouvelle tentative pour masquer les véritables enjeux et repousser les réformes structurelles.

Une situation budgétaire inédite et alarmante !

Les résultats des récentes enquêtes de la Fédération hospitalière de France (FHF) et de la Conférence nationale des directeurs d’établissements pour personnes âgées et personnes handicapées (CNDEPAH) sont alarmants. En 2023, près de 85 % des EHPAD publics étaient déficitaires. Par ailleurs, 39 % des EHPAD publics rencontraient des difficultés de trésorerie. Les charges d’hébergement ont augmenté de 9 % entre 2019 et 2022, à un rythme bien supérieur à celui des tarifs autorisés.

Ces chiffres montrent une dégradation rapide et profonde des équilibres budgétaires et des trésoreries des EHPAD, menaçant la pérennité de l’offre et pesant sur la qualité de l’accompagnement proposé aux résidents. Cette situation contraint d’ores et déjà certains directeurs à devoir faire des choix pour assurer le versement des salaires et le paiement des fournisseurs essentiels : retarder le paiement des cotisations patronales et sociales, renoncer aux investissements ou les reporter. Comment croire que les conditions de travail des personnels, dont les directeurs, n’en sont pas atteintes ? Face à ce constat déjà largement partagé, qui touche également les établissements associatifs, aucune solution n’est proposée.

L’enveloppe de 650 millions d’euros annoncée le 24 avril dernier par la ministre déléguée chargée des personnes âgées et des personnes handicapées, traduite dans l’instruction budgétaire du 22 mai, ne constitue en rien un plan d’urgence : ces crédits étaient déjà votés dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024. De même, la portée de l’augmentation de 3 %, et même de 5 %, des crédits prévus dans cette instruction doit être relativisée. En effet, ces crédits sont aussi censés financer de nouveaux postes de soignants (6 000 sont budgétées cette année). Les sommes consacrées à ces créations de postes seront autant de moins pour combler les déficits.

De même, si la coopération des établissements médico-sociaux, à l’image des GCSMS et des futurs GTSMS, représente une mesure structurante du secteur public, elle ne peut en aucun cas être envisagée comme un levier attendu d’économies permettant d’apporter une réponse à cette crise financière sans précédent des EHPAD.

Une incidence sur la responsabilité des directeurs

La situation des EHPAD est également marquée par l’engagement accru de la responsabilité des chefs d’établissements. Trop d’ARS et de conseils départementaux préfèrent pointer du doigt la responsabilité des directeurs, accusés d’être de mauvais gestionnaires, alors que les facteurs de cette dégradation financière sont objectivement externes (inflation, difficultés de recrutement, retour partiel aux taux d’occupation pré Covid).

Cette absence de soutien des financeurs est particulièrement ressentie dans les commissions départementales de suivi des difficultés financières des établissements médico-sociaux. De même, les mises en cause de directeurs d’EHPAD, allant parfois jusqu’à la condamnation pénale pour des accidents de prises en charge, sont l’illustration de l’évolution du contexte d’exercice professionnel : difficultés de recrutement de personnels qualifiés, grande vulnérabilité des usagers accueillis et méfiance des familles après des années de mise en doute sur la qualité des pratiques, régime étendu de la responsabilité des directeurs qui les pilotent.

A l’heure où les emplois de directeurs d’EHPAD suscitent de moins en moins de candidatures, il est crucial de reconnaître leur travail tout en leur assurant les ressources et le soutien nécessaires pour gérer efficacement leurs établissements. Cela doit également passer par une reconnaissance statutaire de leurs responsabilités.

La nécessité d’une vision de long terme

Compte tenu de l’évolution démographique annoncée, il est impératif de préparer notre société à accompagner un nombre croissant de personnes âgées dans la dignité et le respect. Le report incessant par nos élus du moment d’affronter cette problématique, y compris sous l’angle du financement solidaire, pose la question de la place laissée dans notre société aux personnes les plus vulnérables et à ceux qui les accompagnent. Cette inaction n’est plus acceptable.

Puisque les partis politiques soutiennent majoritairement, dans leur programme de campagne, le maintien de l’indexation des pensions de retraite sur l’inflation, il convient donc d’indexer les tarifs hébergement sur l’inflation. Les départements n’ont à leur charge que les places habilitées à l’aide sociale à l’hébergement, le coût mensuel (le reste à charge) étant assumé massivement par les personnes elles-mêmes ou leurs familles. Plutôt que de pousser les EHPAD à différencier les tarifs pour sauvegarder la prise en charge des plus fragiles, ce qui pose des questions d’égalité des usagers devant le service public, les départements rempliraient ainsi leur rôle majeur en matière d’action sociale tout en donnant les moyens aux établissements de fonctionner.

Le SYNCASS-CFDT rappelle avec insistance que le principe d’une loi de programmation pluriannuelle pour le grand âge, a été inscrit dans la loi du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l’autonomie, dite loi Bien vieillir. Les pouvoirs publics doivent engager des réformes structurelles et assurer un financement solidaire pour les dispositifs existants. Ils doivent soutenir le développement des alternatives domiciliaires souhaitées par nos concitoyens en affirmant leur complémentarité et non leur subsidiarité.

Il faut sortir des enjeux de pouvoir entre les départements et l’État et arrêter les rapports qui s’empilent depuis une décennie. A quand la démonstration d’un courage politique pour trancher la question, simplifier et mener une réforme à la hauteur des enjeux ? Les mesures ponctuelles ne suffiront pas à résoudre les problèmes structurels. Seule une vision à long terme, soutenue par des politiques cohérentes pourra apporter des solutions durables et efficaces aux défis du secteur. C’est un sujet majeur de la campagne électorale en cours !