Dans un contexte où les libertés publiques et les garanties constitutionnelles sont questionnées sous l’influence de politiques controversées, la France fait face à une résurgence inquiétante de la « psychiatrie sécuritaire ». Cette tendance se manifeste dans le sillage d’événements tragiques, tels que l’attentat terroriste de la tour Eiffel le 6 décembre dernier et les homicides de Meaux le 28 décembre 2023. Des réactions politiques et médiatiques ont polarisé le débat vers les défaillances de la psychiatrie. Jean-François COPE, en réaction à ces événements, a, d’ailleurs, publié une tribune dans l’Express, suscitant l’ouverture d’un débat parlementaire sur l’état de la psychiatrie en France le 17 janvier dernier et d’échanges en cours avec le Haut-commissariat au Plan.
Ce phénomène n’est pas nouveau. La rhétorique sensationnaliste dépeignant le schizophrène comme un individu dangereux est exploitée dans certains organes de presse. Elle occulte cependant la mobilisation au sein des établissements de psychiatrie et de santé mentale de 2018-2019, où l’attention médiatique et parlementaire s’était alors portée sur la dégradation de la psychiatrie publique et l’abandon des patients. Cette période de prise de conscience s’estompe au profit d’une simplification réductrice du problème.
Cette situation révèle un déni sociétal profond, où les politiques publiques peinent à traiter au fond les questions de santé mentale. Les déclarations du ministre de l’Intérieur sur le « ratage psychiatrique » de l’attentat de la tour Eiffel en est une triste illustration. Jeter en pâture l’hôpital public et les équipes médicales et soignantes est bien commode pour détourner le regard des limites et des défaillances du renseignement intérieur. Pendant ce temps, les assises de la psychiatrie et de la santé mentale de 2021 restent sans suites lisibles.
Pour le SYNCASS-CFDT, il est temps de reconnaître les défis sociétaux, économiques et éthiques auxquelles la psychiatrie est confrontée. La gestion des ressources humaines traverse une crise grave : réduction du taux d’encadrement infirmier en hospitalisation complète, désaffection des psychologues pour l’exercice hospitalier, raréfaction des psychiatres et pédopsychiatres, notamment en lien avec l’intensification et la complexité des gardes, réduction du nombre d’internes en psychiatrie… L’hospitalisation en psychiatrie repose sur l’engagement des médecins, dont les PADHUE, et des professionnels non médicaux, mais au prix d’une pression délétère… Outre la mobilisation constante des équipes soignantes, s’ajoutent des injonctions pressantes envers les équipes de direction et les administrateurs de garde.
Souvent sous la pression de réponse rapide aux exigences d’hospitalisation sous contrainte ou pour accueillir des patients détenus, les directions doivent agir sans délai. Ceci parfois au détriment de prises en charge en cours, entrainant des reports ou des prolongations de parcours de soins pour les patients, voire des transferts vers un autre établissement. Ces dilemmes professionnels et éthiques, à tous les niveaux de l’organisation, mettent à mal la qualité des réponses apportées. Ils altèrent parfois les relations entre établissements et services spécialisés ou services d’urgence, ainsi qu’entre l’hospitalisation et la médecine de ville. Ces tensions mettent en évidence la nécessité de repenser les conditions et les capacités d’accueil en amont de l’hospitalisation pour offrir des soins de qualité dans des délais appropriés.
Le dogme selon lequel les établissements peuvent continuellement réduire les coûts et compenser les pertes par des regroupements d’activité, la réduction du capacitaire ou de meilleures pratiques d’achat est non seulement faux, mais dangereux pour l’offre de soins. Les annonces de la direction générale de l’offre de soins (DGOS) sur les modalités de la réforme du financement de la psychiatrie pour 2024 et le foisonnement des évaluations budgétaire et financière du secteur sont loin de rassurer. Bien au contraire, elles suscitent des inquiétudes parmi les responsables d’établissements de santé mentale.
La réforme du financement de la psychiatrie, en cours, ne prend pas suffisamment en compte l’évolution importante des besoins de prise en charge, notamment en ce qui concerne la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique, notamment son article 17 relatif à l’isolement et la contention et aux garanties à apporter aux libertés individuelles des patients. S’ajoute l’actualisation du régime des autorisations dont un des objectifs affichés est de « renforcer la sécurité des soins et des pratiques ».
Il est impératif de dénoncer les faux-semblants du discours sécuritaire sur la psychiatrie. Face à une demande croissante de soins et une baisse alarmante des capacités d’accueil, il est urgent de repenser les pratiques, le niveau et la répartition des ressources dans les territoires.
Alors que l’année 2023 a marqué la montée en charge du nouveau modèle de financement de la psychiatrie, le SYNCASS-CFDT appelle à une prise de conscience et à une action urgente des pouvoirs publics. Ce constat est largement partagé au sein de la CFDT et de la fédération Santé Sociaux, qui plaide pour l’augmentation significative du nombre de professionnels formés en psychiatrie, tout en recherchant des pratiques alternatives à l’isolement et à la contention respectueuses du droit des patients. La CFDT souligne aussi la nécessité d’une véritable politique de prévention en santé mentale. La sensibilisation doit se poursuivre en population générale dans tous les espaces du « lien social » et du numérique, à l’école, à l’université et dans les lieux de travail pour accompagner et déstigmatiser les personnes souffrant de trouble psychique.
Les propositions de la CFDT pour la psychiatrie et la santé mentale
Les professionnels des établissements publics sont responsables de la majeure partie de l’offre de soins en santé mentale. Malgré leurs efforts constants pour répondre aux besoins, ils se trouvent souvent confrontés à un soutien limité des autorités et des ressources insuffisantes, ce qui rend leur tâche d’autant plus complexe et éprouvante. Ils œuvrent pourtant avec conviction en faveur d’une psychiatrie humaniste et sécurisante, respectueuse du droit et non sécuritaire !