Les directeurs des EPSM ont jusqu’alors largement contribué au développement de dispositifs de soins innovants et ont su se réorganiser pendant la crise sanitaire. Ils se trouvent confrontés à de nombreux problèmes à la fois identiques à ceux du MCO (pénurie de personnels, allocation de ressources) mais aussi spécifiques (désaffection de la discipline, répartition déséquilibrée des internes, effets du contrôle judiciaire des mesures d’isolement, explosion des pathologies post covid). Ils attendent de réelles perspectives pour le fonctionnement de leurs établissements.
LA DÉCLARATION LIMINAIRE
L’instance collégiale nous rassemble aujourd’hui pour l’examen des candidatures à un emploi de secrétaire général de CHU ainsi qu’à quatre chefferies d’établissements spécialisés en santé mentale dont trois emplois fonctionnels. Cette séance nous donne ainsi l’occasion de nous exprimer sur l’exercice des missions de direction dans ce domaine d’activité fondamental.
La crise sanitaire permet, plus que jamais, une prise de conscience de l’importance de la santé mentale et de la psychiatrie dans la réponse aux besoins de santé publique organisée par le service public hospitalier.
De longue date, les équipes de psychiatrie et leurs directeurs ont initié, développé et éprouvé le parcours de soins mettant en œuvre de nombreuses innovations au bénéfice d’une psychiatrie décloisonnée : sectorisation géographique des prises en charge, développement de l’ambulatoire, équipes mobiles territoriales, centres de crise, articulation avec le médico-social et le social, implication systématique des élus au bénéfice de l’insertion des patients par le logement dans la cité, coopérations avec les associations d’usagers, recherche … Ils ont permis la mise en place d’un dispositif de soins ancrés dans les territoires et en proximité des populations favorisant l’intégration sociale des patients. Mais cette évolution certaine mais inachevée est en danger.
Certes, à l’instar du champ MCO, la santé mentale et ses professionnels ont répondu présent aux besoins croissants dus à la crise sanitaire. Elle a, une fois encore, prouvé ses grandes capacités d’adaptation et sa réactivité pour faire face, en particulier, à l’accueil de nouveaux patients, souvent très jeunes, particulièrement impactés par les épisodes de confinement et ses suites, mais aussi poursuivre les prises en charge des patients chroniques. Elle a dû, elle aussi, se réorganiser.
Si la crise sanitaire a eu des conséquences sur l’état mental de la population, force est de constater qu’à l’identique des activités MCO, la psychiatrie est également en crise, avec une situation aggravée par les effets de la pandémie. Les directeurs se retrouvent ainsi confrontés à de nombreuses difficultés de management.
Bien sûr, la pénurie de professionnels de toutes catégories y fait rage aussi, générant les mêmes effets délétères sur les équipes et les organisations du travail. Les directeurs ne peuvent se satisfaire des expédients auxquels la crise ne nous a que trop habitués. Le système « D » incessant est un cercle vicieux : les absences non remplacées décuplent le travail de ceux qui restent en poste qui s’épuisent chaque jour un peu plus.
Mais les difficultés d’attractivité de ce secteur pour les professionnels se distinguent par une désaffection inquiétante, tant au niveau des personnels non médicaux que médicaux. La part des infirmiers et aides-soignants qui choisissent la psychiatrie à la sortie des instituts demeure trop faible, confirmant une nécessité de valorisation et de promotion de l’activité paramédicale en psychiatrie.
S’agissant de la démographie médicale de la discipline, la politique de formation incohérente et erratique produit des effets désastreux qui s’accentuent au fil du temps. Le système de répartition territoriale aberrant des internes entraîne un déséquilibre entre CHU et EPSM, les secteurs implantés en CH étant également mal lotis. L’explication ne réside pas dans les impératifs d’enseignement de la discipline. La psychiatrie est l’exemple typique de la justesse de l’équilibre populationnel comme base d’organisation des territoires, avec des problématiques différentes en ville et en zone rurale, entre enfants, adolescents et adultes, qui ne peut justifier les formes de concentration excessive. Elle devrait être l’exemple d’une universitarisation partagée et de coopérations renforcées entre CHU et EPSM de référence. L’innovation thérapeutique n’est et ne doit pas être dévolue aux seuls CHU, au risque qu’elle y soit alors « noyée » parmi leurs nombreuses spécialités.
Et que dire de la quasi disparition des pédopsychiatres. La montée en charge de nouveaux lits dédiés aux enfants et adolescents n’étant pas réalisable au sein des secteurs, la question de la présence et du développement de compétences de pédopsychiatrie dans les services pédiatriques, qui hébergent la plus grande part des hospitalisations d’urgence, se pose face à une déferlante de prise en charge chez les jeunes.
L’enjeu de l’attractivité de la psychiatrie est réel car intimement corrélé aux inégalités sociales notamment dans les situations de rupture des prises en charge. Pour assurer la continuité des soins et des trajectoires, la réflexion rapide sur une meilleure répartition des rôles entre professionnels, notamment par le développement de la pratique avancée, est une urgence.
Les difficultés concernant l’allocation de ressources, sont bien présentes dans le management des établissements. La politique de compression des moyens a fait son œuvre. Faut-il rappeler que sur les seules dix dernières années, le financement des EPSM a évolué deux fois moins rapidement que l’ONDAM hospitalier global, et quatre fois moins vite que le financement des établissements de psychiatrie privés lucratifs ? De même, pour les secteurs de psychiatrie rattachés aux EPS, les coupes ont souvent été drastiques. La conséquence a été notamment une accélération des fermetures de lits en hospitalisation complète dont le niveau est désormais bien trop faible dans de nombreux territoires.
Les inquiétudes sont fortes sur l’augmentation des ressources, en 2022, pour accompagner une réforme du financement annoncée de longue date mais ne garantissant aucune visibilité. Les déclarations de principe sur le maintien des moyens ne peuvent suffire. Car les surcoûts et la suractivité sont bien réels excluant d’envisager de nouvelles économies, en particulier sur la masse salariale.
La réforme des autorisations d’activité en psychiatrie, embarquant de nouvelles conditions de fonctionnement opposables mi 2023, impliquera une refonte de l’offre dans un secteur où le privé lucratif est bien implanté, mais pour des activités qu’il sélectionne. Ce sera un enjeu déterminant pour les directeurs qui auront à défendre la psychiatrie publique dans la période.
Le nouveau dispositif de contrôle judiciaire des mesures d’isolement et de contention par le juge des libertés et de la détention se traduit par une charge administrative plus forte, une tension sur la permanence des soins médicale et un risque médico-légal avéré. Le bouleversement des pratiques et des organisations impose une poursuite de l’accompagnement y compris en termes de moyens pour éviter d’autres départs de professionnels, dont les psychiatres.
La réflexion en cours sur les urgences qui fait actuellement l’objet d’une mission flash décidée par le président de la République ne peut faire l’impasse du rôle et de l’implication des équipes déployées par et dans les EPSM. Ces compétences indispensables dans les SAU subissent de plein fouet la recrudescence des atteintes à la santé mentale dans l’ensemble de la population. Leur maintien souvent fragilisé par le manque de moyens mérite une clarification urgente sur le mode de financement.
Ce contexte nécessite des évolutions profondes et un plan psychiatrie et santé mentale ambitieux, le précédent entre 2005-2012 n’ayant pas connu de suite. Les directeurs en poste et ceux qui seront nommés à l’issue de cette procédure auront un rôle déterminant à jouer.
Gageons que la mise en place des projets territoriaux de santé mentale, les assises de la psychiatrie et de la santé mentale, la création d’une délégation ministérielle et de la Commission nationale de la psychiatrie, apporteront des solutions positives à un secteur qui reste, à ce jour, en souffrance et dans l’attente.
Les directeurs poursuivront leur engagement professionnel mais ils attendent aussi des perspectives concrètes d’amélioration du fonctionnement des établissements. Ils ont besoin de soutien pour affronter les situations sociales parfois extrêmement complexes que le contexte alimente. Ils doivent pouvoir compter sur le ministère, les ARS et le CNG dans les cas les plus aigus.
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