Guillaume COUVREUR DRH du centre hospitalier de Roubaix |
Le CH de Roubaix a été récompensé récemment par plusieurs prix (MGEN, GMF et MNH) pour son projet de lutte contre les violences intrafamiliales. Peux-tu nous dire quelle est la genèse de ce projet ?
Le CH s’est engagé à partir de 2022 sur le repérage et la lutte contre les violences faites aux femmes (VFF) dont pourraient souffrir nos patientes, avec un focus sur les secteurs de la maternité, des urgences adultes et de la pédiatrie.
Cet engagement nous a fait réfléchir sur le fait que nous montions des projets pour les patientes et non pour les agents. Les études estiment à une sur dix le nombre de femmes victimes de violences intrafamiliales (VIF) au cours de leur vie.
Nous nous sommes dit que l’employeur avait une responsabilité et un rôle à jouer, surtout à l’hôpital où 75 % des salariés sont des femmes. Nous avons alors lancé un groupe de travail sur un projet piloté par le DRH et une médecin urgentiste qui a rédigé un mémoire universitaire sur le rôle de l’employeur dans l’accompagnement des VIF.
Le groupe s’est nommé Daphné, en hommage à la nymphe de la mythologie grecque, harcelée par Apollon et qui demande à être métamorphosée en laurier pour lui échapper. Le groupe, composé de professionnels issus de secteurs et de métiers différents – psychologue, DRH, médecins, service de santé au travail, organisations syndicales, cadres, service social – s’est réuni en septembre 2023.
L’objectif de Daphné était de fournir un livrable fin décembre 2023.
Ce livrable présentait une déclinaison de différentes actions autour de trois axes :
- Communiquer : diffusion de supports (« violentomètre » et cycle des violences, triptyque d’information, affiches…), réunions d’encadrement et martèlement du message autour du paradigme de « safe zone ».
- Repérer : formation de près de 600 agents et transformation du groupe de travail Daphné en un réseau de référents qui sont autant de portes d’entrée du dispositif.
- Accompagner : kits logistiques d’urgence, solution d’hébergement, possibilité de consultations sur le temps de travail, ouverture du fond du temps solidaire aux victimes de VIF, mise en réseau avec les associations du territoire.
Combien de femmes salariées de l’établissement ont pu se faire accompagner ? Quel pourcentage cela représente-t-il par rapport au nombre d’employées ? Des hommes ont-ils été concernés ?
L’établissement compte environ 2 800 femmes salariées, ce qui représente 280 victimes potentielles si nous tenons compte des moyennes des études.
Jusqu’à présent, le CH a accompagné 15 femmes en six mois, soit autant en un semestre que pendant les dix années précédentes. Ces femmes sont des personnels médicaux et non médicaux. Aucun homme n’a été concerné à ce jour.
Ce projet a-t-il eu un retentissement plus important que prévu ? A-t-il eu des effets en matière de prise de conscience ?
Oui, un retentissement beaucoup plus important que prévu : nous avons multiplié par vingt le ratio de femmes salariées victimes de VIF accompagnées. C’est la preuve qu’il y a un besoin et que l’implication de l’employeur en matière de VIF est salvatrice.
Les formations ont entraîné une sensibilisation des agents et ont permis le repérage de situations de victimes de VIF mais aussi de VSST. Cette sensibilisation a libéré la parole de femmes victimes et, en même temps, a permis à des professionnels d’oser en parler avec des collègues qui ont alors été encouragées et soutenues pour se faire aider.
Le message autour de la « safe zone » a été compris et assimilé par les équipes. Cela a entrainé un véritable changement de paradigme, y compris dans la culture managériale. La culture qui prévalait auparavant était : quand tu enfiles ta blouse, le privé ne doit pas interférer. Les résistances étaient notamment exprimées de la part de certains encadrants mais il n’y a pas eu d’appel d’air constaté vers d’autres sujets d’ordre privé.
Pour une meilleure sensibilisation de tous, nous avons constitué un réseau de référents qui peut s’appuyer sur l’ensemble des agents formés (près de 600), qui sont autant de vigies susceptibles d’alerter. De plus, au niveau du service de santé au travail, nous avons systématisé lors de la visite périodique une série de questions autour des VIF. Les études montrent que les victimes sont prêtes à en parler dès lors que la question leur est posée. En fonction de la réponse ou de la réaction, le médecin peut utiliser un arbre décisionnel, accompagner et orienter la victime.
Le groupe de travail Daphné devait s’arrêter en janvier 2024. La dynamique créée a dépassé cette limite et les membres du groupe sont devenus des référents qui ont signé une charte de confidentialité et sont autant de portes d’entrée pour toute victime de VIF, qui peut ainsi saisir le référent avec lequel elle est le plus à l’aise.
Quels ont été les freins et les réussites ? Y a-t-il eu des ajustements nécessaires ? Le dispositif doit-il évoluer et si oui, comment ?
La culture managériale a dû évoluer pour accepter que cet aspect de la sphère privée puisse entrer à l’hôpital pour un soutien effectif de l’employeur.
Dans la lutte contre les violences intrafamiliales, le logement est un problème important pour la mise à l’abri de la victime en urgence. Le CH dispose d’un parc de logements dont l’un a été mis à disposition pour les salariées victimes. Elles sont ensuite accompagnées, si besoin, par une assistante sociale pour un logement pérenne.
Le combat contre les VIF sera remporté si nous parvenons à diffuser le projet Daphné et que celui-ci soit partagé par d’autres structures : pouvons-nous avoir l’ambition raisonnable de faire de tous les établissements publics de santé des « safe zone » pour les victimes de VIF ?
Les victimes de VSST bénéficient-elles du même accompagnement ou les dispositifs sont-ils distincts, et si tel est le cas, pour quelles raisons ?
Les dispositifs sont distincts. Des dispositifs antérieurs existaient sur la détection et l’accompagnement des VSST. Le dispositif de déclaration d’événement indésirable prévoit, en cas d’événement type « harcèlement » ou « VSST », le déclenchement sous 48 heures d’une réunion du comité des risques psychosociaux pour analyser la déclaration et déclencher si nécessaire une enquête administrative rapide.
Cela étant, les projets sont poreux et la sensibilisation aux VIF a permis notamment de mettre en lumière une situation de VSST qui n’avait pas été dévoilée et a entrainé le licenciement de l’agresseur.
Les organisations syndicales ont-elles été impliquées dans le dispositif ? Si oui, comment ?
Oui, elles l’ont été à deux titres. Certains sont membres du Copil et sont ensuite devenus référents Daphné. Nous avons également formé les trois organisations syndicales à la détection des VIF. Dans l’organisation des formations, nous avons ciblé de façon prioritaire les agents qui interviennent de façon transversale et peuvent donc être des vigies importantes (brancardage, DRH, SST, psychologue, rééducation, organisations syndicales…).
Cette action figurait-elle dans le plan d’action égalité professionnelle du CH de Roubaix ?
Non, elle ne l’était pas mais va y être intégrée. C’est pour nous une action très concrète qui a un retentissement très important dans les mentalités et dans la vie des femmes accompagnées.
Comment allez-vous utiliser les financements perçus par les prix que le projet a reçus ?
Ce n’est pas encore décidé. Les référents Daphné se réuniront pour réfléchir comment utiliser ces financements au profit du dispositif.