Cédric COUTRON Référent égalité femmes-hommes au CNG |
Pouvez-vous nous présenter votre rôle de référent égalité femmes-hommes au CNG ?
J’ai été nommé référent égalité femmes-hommes pour l’ensemble des corps gérés par le CNG (praticiens hospitaliers, personnels enseignants et hospitaliers, directeurs d’hôpital, directeurs d’établissement sanitaire, social et médico-social et directeurs des soins) à compter de juillet 2023. La nouvelle directrice générale du CNG a en effet voulu intensifier notre mobilisation sur ce sujet. Cela s’inscrit dans un contexte de volonté générale de changement, avec la signature de la charte de l’association « Donner des ELLES à la santé » et la promulgation de la loi n° 2023-623 du 19 juillet 2023 visant à renforcer l’accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique. Je pilote un plan d’actions qui a pour but d’objectiver et de progressivement faire diminuer les inégalités entre les femmes et les hommes, en particulier sur la question de l’accès aux responsabilités, mais également de lutter contre les violences sexistes et sexuelles (VSS).
Je peux être contacté en première intention par les personnes qui sont victimes de VSS pour les orienter, en fonction de la situation et de ce qu’elles souhaitent faire, dans les démarches qu’elles pourraient lancer.
En quelle année a été lancé le dispositif « PasSansElles » ? Pouvez-vous nous en expliquer le principe et faire un premier bilan de ses résultats ?
PasSansElles est un dispositif de « marrainage » lancé en 2023 par le CNG. Il est destiné à des directrices qui sont très proches d’accéder à une chefferie de groupe I ou à une direction générale de CHU, après plusieurs candidatures déjà émises. Ces directrices sont accompagnées par des directrices générales de CHU expérimentées en poste mais n’ayant pas d’enjeu de carrière, ou qui ont quitté cette fonction. Sept binômes ont ainsi été constitués et l’objectif était que chacun puisse régulièrement faire le point, notamment que la marraine aide à préparer les entretiens de recrutement. Une réunion de retour d’expérience a été organisée et autant les marraines que les filleules ont été très satisfaites de ces temps d’échanges. Trois directrices sur sept ont connu depuis une issue favorable dans leurs démarches professionnelles. L’objectif est de relancer le dispositif fin 2024-début 2025.
Bien que les short-lists des instances collégiales respectent la parité, le nombre de femmes occupant des postes de chefferie DH reste largement inférieur à leur proportion au sein du corps : 26,9 % des emplois supérieurs DH sont occupés par des femmes alors qu’elles représentent 51,8 % du corps (selon les statistiques du CNG au 1er janvier 2023). Quelles actions de sensibilisation aux biais de recrutement le CNG prévoit-il pour les recruteurs (ARS, présidents de conseil de surveillance) ?
Nous avons tous un rôle actif à jouer en la matière. Le CNG agit à plusieurs niveaux. D’abord susciter et encourager les candidatures féminines, qui sont encore trop peu nombreuses, comparées aux candidatures masculines.
Le CNG élabore en effet, autant que faire se peut, des listes courtes paritaires et retient, le cas échéant, les candidatures féminines sur plusieurs postes lors d’un même tour de recrutement, ce qu’il ne fait pas pour les candidatures masculines en dehors de certaines situations particulières.
Enfin, l’accompagnement proposé par le programme Talentueuses peut aider en ce sens les femmes à comprendre leurs freins et à les lever.
Nous voulons également travailler avec les recruteurs (ARS-PCS) sur les représentations et les biais de recrutement : chacun d’entre nous peut avoir des biais cognitifs qui l’influencent dans son activité professionnelle, notamment dans le recrutement ; pour autant, en prenant conscience de ces biais, il est possible d’y être davantage vigilant. Le CNG a ainsi mis en place des sessions de sensibilisation à ces biais assurées par le groupe Egae1, qui permettent d’informer les autorités de recrutement, et autorités dont l’avis est requis, sur les différents types de discrimination (au-delà des discriminations liées au sexe ou à l’identité de genre) et les biais cognitifs fréquents. Ce sont des sessions non culpabilisantes car, encore une fois, chacun d’entre nous peut, sans le vouloir, discriminer ou avoir des biais cognitifs. Ces formations sont cofinancés par le Fonds en faveur de l’égalité professionnelle (FEP) en 2024. Elles sont proposées également aux PCME, acteurs du recrutement médical et de la désignation des responsables de service et de pôle.
Quels sont, selon vous, les principaux freins à l’accès des femmes aux emplois supérieurs ?
Je pense qu’il s’agit d’une problématique complexe, qui prend ses racines dans notre culture, dans la manière dont la société fonctionne en général et dans les représentations que nous avons, aussi bien des hommes que des femmes. Ces représentations sont d’ailleurs bien ancrées et cela nécessite un véritable travail pour les dépasser. Et les femmes intègrent parfois elles-mêmes ces représentations sur les femmes, croyant qu’elles ne sont pas faites pour accéder à des responsabilités supérieures, encore souvent perçues dans notre société comme une « affaire d’hommes ».
Tout l’enjeu est donc d’arriver à faire oser les femmes, à leur donner confiance en elles, à les convaincre qu’elles sont évidemment tout aussi compétentes que les hommes pour diriger des établissements, des pôles d’activités, des services de soins, etc.
Permettre aux femmes de dépasser ces freins fait également appel à des changements culturels au sein de la famille, avec davantage de partage des tâches, rendant la prise de fonctions supérieures possible ainsi que des changements culturels dans la perception que peuvent avoir les recruteurs ou les équipes vis-à-vis de candidatures féminines.
Le programme Talentueuses, qui accompagne en inter-fonctions publiques des femmes qui souhaitent accéder à des responsabilités supérieures, est justement une réponse à ces différents freins, internes ou externes, que peuvent ressentir nos directrices.
Le CNG vient de publier les résultats d’une enquête nationale après des directeurs titulaires de la FPH. Cinquante-neuf pour cent des directeurs sont soit intéressés par une chefferie ou un emploi supérieur, soit y ont déjà accédé : les hommes se déclarent plus intéressés (69,5 %) que les femmes (52 %). L’enquête révèle aussi de forts écarts de perception entre les femmes et les hommes sur divers aspects professionnels : les hommes pensent beaucoup moins que les femmes que le leadership puisse être différemment perçu selon le sexe du candidat par un recruteur ; que les femmes rencontrent des difficultés particulières, liées au fait d’être une femme, pour leur progression de carrière ; ou qu’à compétences égales entre plusieurs candidats, la maternité réelle ou potentielle ou les aspects familiaux peuvent constituer un frein au recrutement. Enfin, les directeurs se disent principalement victimes de discriminations liées à l’âge, pour 31 % d’entre eux, et de manière plus nette chez les moins de 40 ans. Viennent ensuite les discriminations liées au sexe ou à l’identité de genre, pour 28 % de tous les répondants, avec un écart très important entre les femmes (42 %) et les hommes (7 %) ; elles sont également davantage ressenties chez les jeunes générations (40 % chez les moins de 40 ans). Suivent les discriminations liées aux origines réelles ou supposées pour 11 %. Dans le cadre de démarches pour changer de poste, les trois mêmes discriminations arrivent en premier, bien que de manière moins importante que dans le cadre professionnel en général.
Nous en sommes à la 3e édition de Talentueuses. Combien de directrices de la FPH ont pu bénéficier de ce programme ? Le nombre de places attribué aux femmes de la FPH est-il représentatif de leur proportion par rapport aux deux autres fonctions publiques, à corps comparables ?
En 2024, 15 directrices d’hôpital ont pu bénéficier du programme Talentueuses alors que les années antérieures n’en comprenaient que deux. Grâce à l’intervention du CNG, et des appels à candidatures qu’il met en place, le nombre de places a favorablement évolué pour les directrices de la fonction publique hospitalière. C’est en effet la volonté de la Délégation à l’encadrement supérieur de l’État (DIESE) d’en faire un programme pleinement inter-fonctions publiques.
Aucune D3S n’a été retenue dans ce programme l’année dernière, malgré la féminisation plus marquée de ce corps par rapport aux DH. Certaines peuvent vouloir postuler pour des emplois fonctionnels quel qu’en soit le versant. Le CNG plaide-t-il pour la reconnaissance de ce corps auprès de la Délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État, afin que les D3S bénéficient des mêmes opportunités ?
Le programme Talentueuses est justement là pour aider des directrices qui feraient face à des freins, internes ou externes, pour accéder à des responsabilités supérieures. Parmi les D3S exerçant en établissement, 67,7 % sont des femmes, et parmi les cheffes D3S, on recense 62,8 % de femmes. Je ne dirais pas qu’il n’existe aucun problème d’accès aux responsabilités pour les femmes D3S, mais il semble se poser différemment comparé à la situation des directrices d’hôpital : les femmes représentent 51,8 % de l’ensemble des DH exerçant en établissement, mais seuls 26,8 % des chefs d’établissement DH sont des femmes. Néanmoins, le souhait des D3S a été entendu par le CNG et par la DIESE et nous nous réjouissons de pouvoir ouvrir en 2025 le programme Talentueuses aux directrices d’établissement sanitaire, social et médico-social.
Comment le CNG envisage-t-il d’accompagner les femmes dans la transition vers des postes de responsabilité, en particulier celles issues de corps moins représentés dans les hautes fonctions ? Y a-t-il des programmes spécifiques en cours ou à venir ?
Comme je viens de l’évoquer, deux dispositifs importants y participent : d’une part le programme Talentueuses, qui accompagne justement des femmes ayant dans les prochains mois le projet professionnel d’accéder à un emploi supérieur, et d’autre part le dispositif PasSansElles destiné à des directrices ayant déjà atteint des responsabilités supérieures et qui souhaitent accéder aux plus hautes responsabilités. Mais au-delà de ces programmes, nous travaillons progressivement au repérage des femmes susceptibles d’évoluer vers les emplois supérieurs ; par exemple, l’analyse des candidatures à Talentueuses est très riche, et certaines candidatures, bien que non sélectionnées au programme 2024, ont tout à fait retenu notre attention. D’autre part, nous avons la volonté et l’ambition de développer les entretiens mobilités carrière, ce qui nous permettrait de mieux connaître les directrices et directeurs et de les accompagner dans leur projet. Cela implique toutefois la création d’emplois de conseillers mobilité carrière, dont le CNG ne dispose pas à ce jour. Enfin, nous préparons avec l’EHESP un programme Talent ou Leadership, à l’inscription duquel nous veillerons à la parité.
À votre avis, comment le CNG peut-il lutter efficacement contre les violences sexistes et sexuelles au travail (VSST) ? Quel rôle, selon vous, ont les organisations syndicales dans ce chantier important ?
Il est effectivement important de rappeler le rôle et les compétences de chacun à son niveau. Les établissements de la FPH sont tenus de mettre en place un dispositif de signalement et une cellule pour les traiter (décret n° 2020-256 du 13 mars 2020). Nous avons le projet d’aider les chefs d’établissement qui n’ont pas encore mis en place de dispositif à le faire. Ils ont donc un rôle de premier recours à jouer, le chef d’établissement ayant la responsabilité de protéger l’ensemble des personnels, dont ses adjoints ; en fonction de la situation, il peut recourir à son pouvoir d’enquête interne pour objectiver la situation puis prendre les mesures nécessaires ; si un directeur est mis en cause, la situation devrait être transmise au CNG, pour envisager les suites disciplinaires notamment. Si le chef d’établissement devait lui-même être impliqué, le CNG doit être alerté, par exemple par le dispositif de signalement des difficultés d’exercice, et le CNG se rapproche alors de l’agence régionale de santé pour gérer ensemble la situation. Le champ du pouvoir d’enquête des ARS est très précis et l’ARS ne peut pas enquêter sur toutes les situations. Lorsque la compétence et/ou les ressources en matière d’enquête semblent manquer localement, nous suggérons notamment des solutions alternatives ou complémentaires de recours à des avocats spécialisés dans ce type d’enquête administrative. Notre préoccupation constante est en tout état de cause d’écouter et de protéger autant que possible la victime et d’autre part de disposer d’un rapport solide permettant d’objectiver les faits incriminés en vue d’engager ou non une procédure disciplinaire.
Les syndicats sont contactés directement par les directrices et les directeurs qui évoquent avec eux leur carrière, les difficultés rencontrées dans l’exercice professionnel et, parfois, des violences sexistes et sexuelles au travail.
Je crois que les syndicats ont un rôle important d’écoute et d’accompagnement, tout à fait complémentaire à ce que peuvent faire par ailleurs les chefs d’établissement, les agences régionales de santé et le CNG.