Entretien
Albane TRIHAN

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Temps de lecture : 6 minutes
Albane TRIHAN
Directrice en charge de l’égalité professionnelle à l’AP-HP
En quoi consiste ton rôle de directrice égalité professionnelle à l’AP-HP ? As-tu constitué un réseau de référents ? Si oui, comment animes-tu ce réseau ?

Au sein du département Santé, qualité de vie et conditions de travail (DSQVCT), la directrice en charge de l’égalité professionnelle veille à la mise en œuvre du plan d’action AP-HP 2023-2025.

Elle anime par ailleurs le comité de suivi du plan composé des référents des six groupes hospitalo-universitaires (GHU), des pôles d’intérêts communs et des hôpitaux de l’AP-HP hors GHU.

Nous avons également souhaité associer les organisations syndicales représentatives à ce comité de suivi du plan, la référente QVCT de l’ARS ainsi qu’une représentante de Donner des ELLES à la santé, association avec laquelle nous avons signé la charte d’engagement « Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes », soit 40 membres invités qui se réunissent régulièrement, à raison de quatre fois par an.

L’animation du comité est très interactive : il y a toujours, certes, une partie « actualité de l’égalité professionnelle » où les différents professionnels de l’institution en charge d’une action « égalité professionnelle » viennent présenter l’avancée du projet ; il y a également la présentation par les référents des GHU/pôle d’intérêt commun (PIC)/hôpitaux d’une « action réussite », qui est reproductible, a priori, et qui permet aux autres référents de s’en saisir et de la mettre en œuvre à l’échelle de son GHU.

Enfin, il y a systématiquement un atelier Post-it pour résoudre un problème sur lequel nous butons collectivement.

La dernière fois, il s’agissait de répondre à la question : comment faire mieux connaître les actions entreprises en matière d’égalité professionnelle ?

Le premier protocole d’accord relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique date de 2013. L’AP-HP s’en est-elle saisi immédiatement ? Quelles sont les évolutions majeures depuis 10 ans à l’AP-HP ?

L’AP-HP a proposé aux organisations syndicales, pour avis en comité social d’établissement (CSE), une première feuille de route « égalité professionnelle » en 2021, à la suite du protocole d’accord de 2018, sous l’impulsion de la directrice de cabinet de l’époque ; mais c’est réellement en septembre 2022 que l’institution s’est saisie de ce sujet en créant, au sein de la DRH AP-HP, une mission « Qualité de vie et conditions de travail » dans laquelle j’ai pris mes fonctions de directrice en charge de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. L’arrivée d’un nouveau directeur général a définitivement ancré le sujet de l’égalité professionnelle comme une priorité institutionnelle.

Au-delà de la structuration de la démarche de l’égalité professionnelle (plan, référents, comitologie), faire de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes une priorité institutionnelle repose sur une prise de conscience collective : notre institution doit s’adapter à la majorité d’entre nous et non l’inverse. Or, l’AP-HP, comme tous les hôpitaux, emploie 75 % de femmes !

Depuis un an, nous multiplions les sensibilisations et les formations pour acculturer l’ensemble des professionnels à l’égalité professionnelle, et plus spécifiquement les manageurs, pour une meilleure prise en compte de l’articulation vie professionnelle/vie personnelle ou encore pour les sensibiliser à la prévention et au traitement des violences sexistes et sexuelles.

Sur ce dernier point, nous sommes lauréats du Fonds pour l’égalité professionnelle 2024 pour l’expérimentation d’une formation basée sur l’intelligence artificielle afin de doter les professionnels de stratégies pour réagir aux comportements inappropriés dont elles/ils pourraient être victimes ou témoins.

Nous organisons également des événements et des manifestations, dont le dernier en date est la signature, par le directeur général, le président de la CME et le doyen, de la charte de l’association Donner des ELLES à la santé.

Nous encourageons les femmes à prendre de plus hautes responsabilités et nous soutenons celles qui veulent se lancer grâce à des formations en management et du coaching.

Pour nous, l’égalité professionnelle nécessite un changement de modèle et de culture qui nous amène à innover en matière de management. Plus globalement, l’égalité professionnelle doit être l’affaire de tous, des femmes certes mais également des hommes, et ce au bénéfice de tous !

A contrario, quelles sont les actions qui rencontrent le plus de difficultés et pourquoi ?

Malgré la loi n° 2023-623 du 19 juillet 2023 qui oblige les hôpitaux à tendre vers la parité dans les nominations des femmes médecins aux postes à plus grandes responsabilités, nous butons actuellement sur l’accès des femmes médecins aux postes de chefferie de service et de pôle.

Pour avancer, nous mettons en place dès septembre un groupe de travail composé des présidentes et présidents de CME centrales et locales, le doyen, les directions des GHU, le président de la commission CME « Carrière et formation »… afin de partager l’objectif des 50 % de femmes médecins primo-nommées et la méthode pour y parvenir.

L’axe 3 du plan de l’AP-HP « Promouvoir l’évolution de carrière des femmes aux postes d’encadrement supérieur ou à responsabilité » concerne essentiellement les femmes médecins. Y a-t-il une volonté qu’il se traduise pour les équipes de direction ? Quelle est la proportionnalité femmes/hommes des postes fonctionnels ou AEF à l’AP-HP ? Existe-t-il des statistiques permettant une cartographie des types de postes occupés par les hommes et les femmes ?

À l’AP-HP, nous satisfaisons à la loi du 19 juillet 2023 pour les emplois de direction, avec une parité entre les femmes et les hommes des emplois fonctionnels des DH et D3S. C’est pour cette raison que nous n’avons pas d’action spécifique pour les équipes de direction.

Au top management, nous avons un directeur général, trois directrices générales adjointes et une directrice de cabinet ; et trois femmes sur six à la tête des groupements ­hospitalo-universitaires, par exemple.

Concernant la lutte contre les VSST, l’AP-HP a mis en place un dispositif central de recueil et de traitement des signalements. Dans le plan, il était prévu d’ouvrir les dispositifs d’accompagnement des femmes victimes de violence aux professionnelles (partenariat avec les maisons des femmes, logement, numéro unique). À quel stade en sont ces projets ? Combien de professionnelles ont signalé, ont été accompagnées et comment ? Quels ont été les freins et les réussites ?

En écrivant le plan début 2023, il est apparu important de permettre à nos professionnelles victimes de violences conjugales et infrafamiliales d’accéder aux maisons des femmes, outil que nous développions par ailleurs pour les patientes de l’établissement. Nous avons veillé avec notre direction informatique à ce que le dossier médical informatisé des professionnelles accueillies ne fasse pas mention de leur démarche.

Ce sont près de 50 professionnelles qui ont ainsi bénéficié d’une des cinq maisons des femmes de l’AP-HP. Les assistantes sociales du personnel sont également chargées de présenter l’ensemble de l’offre « maisons des femmes » de la région, qui s’élève à dix. Les autres actions (logement, numéro unique) sont prévues sur les deux prochaines années du plan.

Quelles sont les prochaines priorités pour l’AP-HP ?

Poursuivre les actions pour l’accès des femmes aux postes à plus hautes responsabilités en s’assurant que les femmes bénéficient bien de la promotion professionnelle, par exemple. C’est également, travailler sur des actions périphériques telles que la réflexion et l’expérimentation de nouvelles organisations pour pallier les départs en congés maternité. Un groupe de travail, réunissant des médecins et des directrices et directeurs des affaires médicales, est chargé de proposer des règles partagées pour le remplacement des femmes médecins enceintes. Il présentera ses propositions d’ici la fin 2024.

Poursuivre la prévention des discriminations, les actes de violence, de harcèlement moral ou sexuel ainsi que les agissements sexistes avec le renouvellement de la campagne de prévention sur les violences entre professionnels initiée en novembre 2023 pour sensibiliser les personnels aux comportements inadaptés et les encourager à les signaler.

Parmi les initiatives à venir, l’AP-HP s’est engagée à favoriser l’accueil des jeunes enfants des professionnels en adaptant l’offre de garde d’enfants. Ainsi, la direction des ressources humaines présentera prochainement sa feuille de route composée d’actions concrètes qui permettront notamment un meilleur équilibre vie professionnelle/vie personnelle.

En 2024, le département Santé, qualité de vie et conditions de travail (DSQVCT) de l’AP-HP coordonne une étude menée par des enseignants-chercheurs du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) pour objectiver d’éventuels écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans notre institution et proposer en regard un plan d’actions concrètes de réduction de ces écarts.

Quel rôle peuvent jouer les organisations syndicales pour soutenir l’avancée du plan d’actions ?

Il nous semble important que les organisations syndicales soutiennent la démarche de l’égalité professionnelle par leur participation à l’élaboration du plan Égalité et au comité de suivi de ce même plan.