Juridique
Personnalité morale du GHT : une évolution ambitieuse autant qu’ambiguë

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La loi n° 2023-1268 du 27 décembre 2023 visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, dite loi Valletoux, marque une étape significative dans l’évolution du cadre juridique régissant les groupements hospitaliers de territoire (GHT), avec la possibilité de se doter de la personnalité morale. Une faculté jusqu’alors écartée qui soulève de multiples interrogations quant à son impact sur l’organisation et la gestion des établissements de santé au sein des groupements.

Les GHT, imposés par la loi du 21 janvier 2016 aux établissements publics de santé, ont une double mission : organiser la fluidité, la coordination et la gradation des soins, afin d’améliorer l’accès aux soins de la population du territoire concerné ; rationaliser la gestion hospitalière publique en mutualisant les fonctions supports et de logistique.

Toutefois, ce modèle s’est heurté à différents obstacles, tant sur le plan des mutualisations fonctionnelles que sur celui de l’adaptation à un paysage sanitaire, social et médico-social en constante mutation.

Cette nouvelle possibilité introduite par l’article 25 de la loi serait un « outil complémentaire pour simplifier les nombreuses procédures et renforcer l’organisation territoriale des soins », comme cela a pu être exprimé lors des débats en séance publique du 25 octobre 2023. Mais elle renvoie également à la crainte existante depuis la création des GHT d’une intégration trop poussée des établissements de santé.

Cette nouvelle disposition prévue dans l’article L.6132-5-2 du CSP offre deux possibilités pour doter un GHT de la personnalité morale :

  • la fusion : dans ce cas, il n’existe plus qu’une seule personnalité morale sur le territoire identifié précédemment à travers le GHT ;
  • le groupement de coopération sanitaire (GCS) de moyens : le GHT peut acquérir la personnalité morale lorsque l’ensemble des établissements parties constitue, à l’exclusion de tout autre membre, un groupement de coopération sanitaire afin qu’il assure au moins les fonctions obligatoirement mutualisées que sont le système d’information (SIH), le département d’information médicale (DIM), les achats, la formation et les écoles et, le cas échéant, les autres compétences (pharmacie, biologie, imagerie, équipes médicales communes…).

La mise en œuvre pratique de la personnalité morale au sein des GHT confronte ces derniers à une série de défis juridiques et organisationnels. La possibilité de directions communes ou de fusion entre établissements, tout comme la constitution de groupements de coopération sanitaire (GCS) de moyens, sont des options prometteuses mais semées d’embûches. Elles requièrent une réflexion approfondie sur la gouvernance, la répartition des pouvoirs et la gestion des ressources, dans le respect des spécificités et des besoins de chaque territoire.

Le plus grand risque est celui de la superposition de gouvernance entre celle du GHT (directeur d’établissement support/comité stratégique/commission médicale de groupement [CMG]/comité territorial des élus locaux/commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques unifiée) et celle du GCS (administrateur/comité restreint/assemblée générale). À ce stade, seul l’article L.6132-5-2 du CSP vient apporter quelques précisions : « L’administrateur du groupement de coopération sanitaire exerce l’ensemble des prérogatives accordées au directeur de l’établissement support. » Les autres modalités d’application seront déterminées dans un décret en Conseil d’État à venir.

Il semble important de clarifier les enjeux. Si les GHT sont dans une logique de subsidiarité, le pragmatisme de chaque territoire s’impose, sans parti pris. Si la dimension intégrative prévaut définitivement, comme on peut le supposer avec cette nouvelle évolution, il faut que l’État l’affiche clairement, en assumant les conséquences sociales et financières.

Elle doit aussi nous interroger sur la question de la représentativité et du dialogue social dans cet environnement juridique nouveau. Force est de constater que les conférences territoriales de dialogue social (CTDS – une proposition de la CFDT) sont globalement peu investies par les porteurs. Elles ne disposent ni de compétences ni de moyens d’interpellation.

L’introduction de la personnalité morale pour les GHT par la loi Valletoux peut être perçue comme une avancée dans la structuration du paysage hospitalier français. Elle propose un cadre pour approfondir l’organisation territoriale des soins dans certains territoires. Toutefois, elle ne doit pas occulter les attentes des professionnels de santé et des patients. Pendant que nous équipons les GHT de ces nouvelles opportunités, en espérant qu’elles façonnent un avenir plus structuré, il semble que l’horizon de l’offre territoriale de soins, avec ses enjeux et ses défis, ne s’éclaircisse guère…

Cette disposition n’est pas anodine. Elle apportera peut-être des développements positifs, mais ouvrira aussi de nouvelles rivalités politiques ou médicales, des logiques de carrières différentes. Cette « simplification » proposée sera sans doute source de complexité et d’ambivalence qui devront être gérées. Encore une fois, il est regrettable qu’une telle évolution soit faite sans associer étroitement les acteurs, notamment les représentants des corps de direction, ce qui a fait défaut globalement jusqu’ici pour cette disposition, mais aussi pour d’autres comme la mise en place des GTSMS, le gouvernement n’étant préoccupé que par la procédure législative. Pour le SYNCASS-CFDT, c’est une carence majeure, malheureusement récurrente lors de cette mandature.