Dialogue social
Négociation collective dans la FPH : travaux pratiques

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Le décret n° 2021-904 du 7 juillet 2021 relatif aux modalités de la négociation et de la conclusion des accords collectifs dans la fonction publique est venu conforter l’ordonnance n° 2021-174 du 17 février 2021 qui a ouvert des possibilités de négociation, que ce soit nationalement ou localement, dans les trois versants de la fonction publique. Les employeurs publics et les organisations syndicales représentatives peuvent désormais, au-delà des thèmes listés dans l’ordonnance, « participer à des négociations portant sur tout autre domaine ».

Il s’agit là d’un changement très important pour les relations sociales dans la fonction publique, déjà mis en œuvre dans le secteur privé. Les équipes locales peuvent désormais s’emparer des thèmes qui les intéressent pour négocier et obtenir des améliorations par rapport aux accords-cadres nationaux. C’est ainsi que des décisions importantes ne seront plus seulement décidées unilatéralement, ou simplement discutées ou concertées, mais réellement négociées.

Les accords du Ségur, une opportunité pour mettre en œuvre cette négociation dans les établissements ?

Un constat s’impose : l’acte unilatéral demeure la voie privilégiée, malgré les évolutions législatives favorisant la négociation collective. Une voie qui ne laisse que peu de place à l’installation pratique d’une culture du dialogue social. Et pour cause, la mise en place des accords majoritaires soulève dans les établissements de la FPH plusieurs inquiétudes.

Un problème de culture ? La complexité administrative, un frein au dialogue

Outre la méconnaissance des obligations et des possibilités offertes par les procédures de négociation, le contexte financier, le plus souvent très incertain, et la perspective d’accords pluriannuels ont entamé l’optimisme initial.

Par ailleurs, le manque de clarté dans la capacité d’engagement des acteurs syndicaux et des directions, la présence ou non d’accords de méthode, la présence ou non de représentation syndicale mais aussi l’absence dans certains cas de continuité de représentants de la direction, le tout sur fond de crise sanitaire, ont été autant d’obstacles qui ont freiné les meilleures volontés.

Un rôle parfois ambigu des ARS

L’ARS, qui est chargée de vérifier la conformité aux normes de niveau supérieur de ces accords, mais aussi du contrôle de l’exécution des crédits alloués à l’axe 2 du Ségur de la santé, s’est positionnée de façon très variable selon les territoires. D’après le retour de collègues directeurs, dans certaines régions, sa posture s’apparente à celle d’un gardien de l’opportunité des accords négociés. Dans d’autres régions, la transmission des accords pour le contrôle de légalité est suivie d’un silence assourdissant. Dans ce cas, en l’absence de réponse du directeur général de l’ARS au terme du délai réglementaire de deux mois, l’accord peut être publié et entrer en vigueur.

Les enjeux financiers : la tentation de s’abstenir

Le soutien financier était et reste une préoccupation majeure dans le cadre de la négociation d’accords majoritaires. Les budgets contraints et les incertitudes quant à leurs effets sur la négociation ont engendré des réticences à s’engager. Les directions, sous pression financière, ont pu opter pour la voie qui leur semblait la moins coûteuse et la plus sécurisée : l’acte unilatéral. Une telle approche, toutefois, néglige l’impact positif à long terme d’un accord dans lequel les représentants des personnels se sont engagés.

L’éclatement syndical, une réalité dans certaines structures

La diversité syndicale est le cas de figure le plus répandu, notamment dans les établissements de grande taille. En pratique, elle peut mener à un éparpillement des interlocuteurs et à un émiettement des positions, rendant la quête d’un compromis majoritaire plus complexe. C’est le cas de certaines structures où les acteurs se sont découragés dans la recherche d’impossibles accords majoritaires. Cela peut être regrettable, mais la diversité est un fait démocratique qui ne doit pas empêcher le travail de dialogue.

Il faut souligner que les organisations syndicales n’ont pas les mêmes pratiques en matière de mandatement et de capacité d’engagement à signer des accords locaux. Les échéances des élections professionnelles sont également un élément de contexte très important à mesurer.

Les changements dans l’équipe de direction : un paramètre à prendre en compte

La négociation demande du temps. Sur la durée du processus, les changements d’acteurs côté direction (chefferie d’établissement, DRH) peuvent avoir une influence déterminante. Il faut œuvrer à une continuité de position institutionnelle sur la place de la négociation collective, au-delà de la conviction individuelle des directeurs en charge de la conduire et de la conclure.

Les jalons sont posés et un nouveau paradigme se dessine

Dans un contexte de fortes tensions sur les ressources humaines, chaque acteur tente de se singulariser et de mettre en place des mesures d’attractivité et de fidélisation. Les établissements qui se sont engagés dans cette démarche s’en sortent-ils mieux ?

Représentants syndicaux et directions doivent être formés à la conduite d’une négociation collective. Les ARS doivent endosser un rôle adapté et soutenant dans la promotion et l’accompagnement de cette démarche de dialogue social. Ce changement de paradigme est tributaire de la capacité d’engagement des acteurs. Mais, vraisemblablement, la négociation collective a vocation à irriguer largement dans l’avenir la gestion des ressources humaines. La CFDT est convaincue que la qualité des soins, l’engagement des professionnels et l’efficience des établissements peuvent y gagner.

Le point de vue de Cédric Leseney, secrétaire général, syndicat départemental CFDT des services de santé et des services sociaux du Calvados

En tant que secrétaire de section, secrétaire départemental, conseiller fédéral et membre de l’union professionnelle régionale, je suis régulièrement confronté à une méconnaissance des modalités à suivre par certaines directions. Cette situation se complique davantage par une réticence marquée à s’engager, souvent justifiée par l’absence de garantie de financements pérennes. Et en 2024, on rentre dans le dur sur ce sujet !

Le manque d’acculturation aux techniques de négociation d’accords dans la fonction publique hospitalière (FPH) est également préoccupant, une lacune qui, je dois l’admettre, affecte parfois même nos propres représentants. Cette lacune se retrouve exacerbée chez certaines organisations syndicales, à qui le concept même de concertation semble étranger, rendant tout processus de négociation particulièrement difficile.

Nous avons aussi observé que les gros établissements, tels que les CHU, ont souvent procédé sans réelle concertation, saisissant bien l’intérêt des investissements immobiliers issus du Ségur de la santé, tout en laissant le versant conditions de travail dans l’ombre. Cela soulève une question fondamentale : où est vraiment allé l’argent ? La réponse n’est pas si simple, et l’absence de suivi adéquat ne fait qu’aggraver notre perplexité et parfois la frustration des militants et des agents. Il est impératif de maintenir la pression pour explorer et mettre en œuvre pleinement cette approche du dialogue social, qui nous convient à la CFDT, et de s’assurer aussi que les engagements financiers suivent pour maintenir la confiance nécessaire entre les représentants du personnel, les directions et les agents.

Un exemple concret de ce que la négociation collective a produit en termes d’accords locaux à l’EPSM de Caen : Calaméo – RH – Attractivé/Fidélisation (calameo.com)

Le point de vue de Margaux Calatayud, directrice adjointe en charge des ressources humaines du GCSMS EHPAD publics du Val-de-Marne

Les accords locaux du Ségur de la santé : un dialogue social en cours de rénovation

L’accord du Ségur de la santé, notamment son volet relatif aux carrières et rémunérations du personnel non médical de la fonction publique hospitalière (FPH), a introduit un élément crucial à travers l’axe 2, dédié à la sécurisation des organisations et des environnements de travail : la possibilité de négocier des accords locaux sur des aspects tels que l’organisation et le temps de travail ou encore l’engagement collectif.

Avant l’implémentation de cet axe, la culture de dialogue social variait d’un établissement à l’autre, avec la forte empreinte d’une tradition d’opposition, voire de conflit. Certains établissements avaient déjà établi des pratiques solides de dialogue, signaient même des accords locaux – non opposables juridiquement et, pour autant, cadrant les pratiques et appliqués – tandis que d’autres peinaient à maintenir des échanges constructifs. L’axe 2 du Ségur de la santé représente donc une opportunité de redynamiser le dialogue social là où il s’essoufflait et de consolider les pratiques existantes.

Attention, considérer que la variété et la subtilité des postures syndicales à l’échelle locale ont disparu au prétexte que l’on peut signer des accords locaux serait un raccourci erroné. D’autant que le passage d’une culture de l’opposition à une culture de l’accord ne se fait pas sans obstacle. Si cet accord peut servir de levier managérial et favoriser une meilleure qualité de vie et des conditions de travail (QVCT), il est important de noter que les marges de manœuvre en termes de gains restent souvent limitées en raison des contraintes financières qui pèsent sur les établissements, qu’ils relèvent du secteur sanitaire, médico-social ou social. Négocier, c’est bien, mais lorsque l’on a quelque chose à mettre dans la balance.

Il est également crucial de comprendre que la qualité du dialogue social ne se mesure pas uniquement par le nombre d’accords signés. Certaines organisations en local vont privilégier une posture de refus de principe quant à la signature d’accords, tout en continuant à participer, parfois très activement et de façon constructive au dialogue. C’est finalement là que résident l’essence et l’objectif premier de cet outil : favoriser un échange constructif et améliorer la qualité de vie au travail des personnels. Les accords locaux ne doivent pas être considérés comme une fin en soi, mais plutôt comme un moyen d’atteindre cet objectif. Dans certains établissements, la pratique d’accords locaux préexistait à l’axe 2 du Ségur et, de façon paradoxale, depuis la possibilité conférée par le législateur de signer des accords locaux opposables, les organisations refusent de signer, de se « rendre complices », de cautionner une action portée par la direction, mais les discussions, les amendements, les propositions de modification émergent, fusent et sont prises en compte. Aucun accord ne sera signé, mais le dialogue aura été dense, réel. Principe de contradiction ? En outre, la mise en place de cette nouvelle culture du dialogue peut rencontrer des écueils, du côté des directions comme du côté des organisations syndicales. Si des outils d’aide à la négociation ont bien été formalisés (Anap, ministère…), il reste à se les approprier et à faire évoluer des pratiques anciennes.

La frénésie juridique qui a fait suite à la crise sanitaire a sans doute lancé les directions sur une multitude de chantiers différents à mener de front. Certaines organisations syndicales doivent aujourd’hui retrouver leurs repères après avoir été affectées par des mesures découlant de la loi de transformation de la fonction publique. La transition vers une culture de l’accord peut ainsi remplacer une culture du refus de principe, mais cela demande du temps et de l’effort de la part de toutes les parties prenantes pour faire évoluer les pratiques et les mentalités.

En conclusion, les accords du Ségur de la santé représentent une étape significative dans le domaine du dialogue social dans la FPH. À défaut d’une révolution, c’est sans aucun doute une évolution. Ils offrent l’opportunité de redynamiser les échanges, de renforcer la confiance entre le personnel et les établissements, tout en contribuant à améliorer la qualité de vie et des conditions de travail. Leur succès dépendra de la capacité des acteurs à maintenir leur engagement envers une culture du dialogue constructive et collaborative.