L’ordre du jour de ce comité consultatif National, qui se concentre sur l’évolution de la stratégie de développement RH du CNG et la réalisation de la cartographie des postes de direction, invitait initialement à étudier avec méthode les perspectives qui attendent les trois corps de direction de la FPH.
Au surlendemain des élections des députés au Parlement européen, la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par le Président de la République ouvre cependant une séquence lourde d’incertitudes. Des réformes en cours d’élaboration s’en trouvent interrompues. Le pilotage ministériel, déjà passablement perturbé par des changements trop rapides de responsables, est rendu incertain. Les échanges entamés, les discussions ouvertes, les engagements pris sont dans l’expectative. Les politiques publiques appliquées à nos secteurs d’activité risquent d’en souffrir.
Or nous nous trouvons à un moment critique pour la fonction publique hospitalière, qui continue à faire face à des situations de crises et de défis récurrentes au regard desquelles les réponses de fond se font attendre. Pour les directeurs et directrices, les conditions de travail en pâtissent, l’attractivité de nos métiers est sur la sellette, l’avenir parfois des établissements qu’ils dirigent et de l’activité indispensable qu’ils dispensent est désormais en question.
De nombreux témoignages de collègues directeurs d’hôpital, directeurs d’établissement sanitaire social et médico-social ou directeurs des soins abondent en ce sens : faible reprise du recrutement des professions soignantes, situation financière et de trésorerie dramatiques des EHPAD et déficits des établissements de santé en aggravation… Pour continuer à rendre les services dus au public, il est nécessaire de rétablir la confiance dans les professionnels et dans les fonctionnaires, dont les responsables des établissements. Une des spécificités des directeurs de la fonction publique hospitalière quel que soit le champ d’activité, et plus particulièrement des chefs d’établissements, c’est qu’ils engagent leur responsabilité personnelle dans la conduite de leur mission. Quels sont les autres fonctionnaires, État ou territoriaux, même au plus haut niveau, qui peuvent être judiciairement mis en cause, même en l’absence de faute directe, au titre de leurs fonctions ? Dans ce contexte, la condamnation en première instance d’un collègue directeur d’EHPAD à 6 mois de prison avec sursis pour homicide involontaire est inquiétante. Le directeur est bien seul à rendre des comptes, même quand les moyens ne permettent pas de fonctionner dans de bonnes conditions, ni de garantir la qualité et la continuité des prises en charge.
Dans ce contexte de pression croissante, il est impératif de veiller au cadre de travail et d’exercice de la responsabilité des directeurs. Les directeurs ont, au sein d’une fonction publique qui doit être protégée dans son action vitale et sans équivalent au service des citoyens, le droit d’exercer :
- Sans violence : ils doivent être protégés de toute forme de violence physique, verbale ou psychologique, garantissant ainsi un environnement de travail serein et apaisé.
- Sans mise en cause publique ou revendicative intempestive : Ils doivent être à l’abri des accusations ou critiques non fondées, permettant une prise de décision équilibrée et réfléchie sans pression injustifiée, dans l’intérêt du service public.
- Dans le respect de leur intégrité : leur expertise et leur engagement doivent être reconnus et respectés en tant que tels, évitant ainsi en l’absence de faute les remises en question de leurs compétences ou de leur éthique.
- Avec une possibilité de recours en cas de conflit : des mécanismes clairs et justes doivent être disponibles pour gérer les conflits, y compris au sein des équipes de direction, assurant une résolution équilibrée sans crainte de représailles et avec un droit à l’oubli.
- Avec une reconnaissance de leur autorité légitime : le rôle de chef d’établissement doit être clairement soutenu par les autorités, facilitant l’application efficace de son mandat.
- Avec un accès à des ressources adéquates : Ils doivent disposer des ressources nécessaires, tant humaines que matérielles, pour mener à bien leurs missions, incluant l’accès à la formation continue pour maintenir et développer leurs compétences.
La protection fonctionnelle doit permettre d’accompagner ces situations. La signature de la circulaire par le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques et le ministre délégué en charge de la Santé et la Prévention rappelle à bon escient son existence. Elle a pour objectif de garantir « la mobilisation des managers, à tous les niveaux de l’administration, pour protéger leurs agents faisant l’objet de menaces ou victimes d’attaques en s’assurant qu’ils bénéficient d’un soutien renforcé et systématique de leur employeur et notamment de l’octroi sans délai de la protection fonctionnelle lorsque les circonstances et l’urgence le justifient, afin de ne pas les laisser sans défense dans une situation pouvant se traduire par une atteinte grave à leur intégrité ». Cette réalité, si elle s’impose aux directeurs vis-à-vis des professionnels qui travaillent et exercent sous leur responsabilité, est valable pour eux au même titre. Elle doit leur garantir soutien et accompagnement de la part des directeurs généraux d’ARS en cas de difficultés identifiées, signalées et partagées.
L’accompagnement juridique s’il est nécessaire, ne saurait être suffisant. En la matière, le SYNCASS-CFDT a toujours défendu un renforcement de la protection fonctionnelle des directeurs par l’organisation du soutien et de l’accompagnement, y compris psychologique, des mesures de protection en cas d’atteinte à la personne via les réseaux sociaux, voire dans la vie privée. La circulaire de 2020 avait répondu en partie à cette revendication en posant le principe du signalement systématique sur PHAROS et le dépôt de plainte contre les hébergeurs en cas de cyber harcèlement. Celle signée le 23 mai dernier ajoute la nécessité de favoriser la prise en charge médicale et psychologique, pouvant aller jusqu’à la mise en place d’un dispositif d’aide aux victimes si besoin. Nous constatons également que les directeurs des soins, pour qui la décision et la mise en œuvre de la protection fonctionnelle relèvent de la compétence des chefs d’établissements, peuvent désormais saisir directement le DGARS lorsque le chef d’établissement est partie au conflit.
A ce titre, le SYNCASS-CFDT restera vigilant sur les remontées de situations de management d’équipes de direction, problématiques, brutales ou harcelantes, que des contextes de gestion sensibles ne sauraient justifier. Il continue à revendiquer un suivi spécifique par le CNG des demandes de protection fonctionnelle et des actions qui en découlent, qui pourrait s’articuler avec le suivi existant des signalements de situations professionnelles difficiles. Comme en matière de violences sexistes et sexuelles, nous ne pourrons collectivement nous contenter d’appels individuels à la modération, ou de constater les départs sans réagir, quand parfois des équipes entières parfois sont bousculées au-delà de l’acceptable, dans leur santé comme dans leur éthique professionnelle.
La dimension partagée des responsabilités et des fonctions de direction au sein de territoires met enfin en évidence le caractère artificiel de distinctions statutaires entre les différents corps de direction. Le défaut d’attractivité des métiers de direction est patent, plus particulièrement pour les D3S d’une part, les directeurs des soins d’autre part. Visible dans la baisse des inscriptions aux concours comme dans les postes restés vacants, ce défaut d’attractivité impacte le quotidien des directeurs en place, qui doivent faire face à des intérims répétés et de plus en plus longs. La résultante est également un accroissement non contrôlé du recrutement contractuel ou de faisant fonction sans formation adaptée préalable. A ce titre, les résultats des dernières nominations de chef d’établissement D3S sont plus que significatifs : 65 % des postes restent vacant à l’issue de ce tour de mutation.
Cette désaffection impacte également le corps des directeurs des soins dont le décret statutaire nécessite d’être actualisé afin d’en corriger les lacunes pour reconnaître leurs fonctions et responsabilités. Cela doit passer par une révision des grilles indiciaires et la refonte des voies d’accès pour stopper l’hémorragie des effectifs du corps.
Pour les DH, les travaux statutaires en cours devraient permettre d’améliorer l’attractivité globale sans pour autant corriger le désintérêt pour certaines chefferies qui illustre une situation de déséquilibre territorial recoupant souvent celle des professionnels médicaux.
Au regard de ces enjeux, le chantier de la réforme de la haute fonction publique ouvert début 2023 est à la croisée des chemins. Le SYNCASS-CFDT a déploré à de multiples reprises le défaut de méthode, les errements des calendriers, l’absence de cadrage des travaux. Il a aussi et surtout recherché par tous les moyens de faire partager sa conviction de la nécessité d’une réforme embarquant les trois corps de direction amenés à travailler en commun dans les établissements et les territoires. Quel que soit le contexte, le SYNCASS-CFDT ne perd pas de vue son objectif : parvenir à une reconnaissance juste des responsabilités de tous les collègues.