Entretien avec Héloïse HALIDAY, propos recueillis par Estelle MARLOT. Héloïse HALIDAY Psychologue clinicienne et enseignante chercheuse Estelle MARLOT Directrice du CH d’Issoire Retrouvez l’entretien filmé d’Héloïse HALIDAY sur YouTube. La santé du dirigeant : une prise de conscience ? Estelle MARLOT – Vous êtes actuellement psychologue clinicienne, enseignante-chercheuse à l’université de Bourgogne et vous êtes connue du monde hospitalier pour tous les travaux que vous avez menés en son sein. La première question que j’aimerais vous poser au sujet de la santé du dirigeant, c’est pourquoi ce sujet est aujourd’hui particulièrement d’actualité ? Héloïse HALIDAY – Il est possible d’inverser complètement la question : pourquoi ne s’y est-on pas penché plus tôt ? Qu’est-ce qui a empêché les dirigeants eux-mêmes, mais aussi les chercheurs et la société, de s’y intéresser ? Tout dialogue ne se passant que dans une interlocution, des responsabilités sont probablement partagées. Quand j’ai fait ma première recherche sur le vécu des directeurs d’hôpital pendant la pandémie, l’une des premières réactions fut : « Pourquoi voulez-vous faire ça ? », et, assez rapidement après, c’est devenu : « Merci beaucoup de nous donner la parole. » Mais la première réaction est quand même toujours une réaction de surprise, indiquant presque que les directeurs que j’allais interroger avaient le sentiment qu’ils n’avaient rien à dire. Pendant un moment, il a été fait complètement fi de cette question parce que c’était indicible. Je pense que ce moment existe toujours, nous sommes plutôt du côté progressiste à nous intéresser à cette question. C’est très probablement en lien avec un certain éthos1 assez sacrificiel de la position de dirigeants, dont nous reparlerons après. Mais une autre partie de la question va chercher du côté de la société et du côté des chercheurs eux-mêmes. Pendant un moment, ce fut compliqué pour avoir tout simplement accès aux dirigeants. Prenons l’exemple d’un directeur d’hôpital. Avant l’étude que nous avons menée avec Florent SCHEPENS, sociologue, sur le vécu des directeurs d’hôpital pendant la pandémie (le début de cette étude date de 2020), il y avait les travaux de François-Xavier SCHWEYER, sociologue à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). Heureusement qu’il était là car il y avait peu de travaux à part ceux publiés par les directeurs eux-mêmes. Ces derniers avaient à la fois cet avantage et cet inconvénient d’être censés être représentatifs de la profession et, par conséquent, de continuer à taire ce qui était tu dans la profession et ne pouvait être investigué qu’à l’aide de quelqu’un qui n’en était pas. C’est tout l’avantage du chercheur de poser des questions qui sont un peu incongrues, un peu inconvenantes, mais auxquelles le sujet se plie finalement dans l’intimité du colloque singulier de l’entretien ; il se plie finalement à y répondre et, voire se prend au jeu. Il y a également la question sociale, voire sociétale. Pourquoi, pendant un moment, il n’a pas été entendable que les dirigeants, les directeurs puissent avoir de quelconques problèmes de santé ? Je pense que c’est toujours un peu compliqué à entendre aujourd’hui. Même moi, parfois, quand j’essaie de soumettre des papiers, je vois bien que mes collègues chercheurs se tendent un peu parce que je m’intéresse aux directeurs d’hôpital. Les directeurs d’hôpital font classiquement partie de la classe dominante et, à ce titre-là, ils dominent déjà tellement qu’au fond, il faudrait que la recherche, les journalistes et la société en général s’intéressent beaucoup plus aux difficultés, à la pénibilité du travail de ceux et celles qui ne font pas partie de ces classes dominantes. Au moment où est sortie la stratégie nationale de 2016 du ministère de la Santé « Prenons soin de ceux qui nous soignent », je ne sais pas combien ont entendu que ce « Prenons soin de ceux qui nous soignent » concernait tout l’hôpital, donc les secteurs techniques, administratifs, logistiques, et aussi les directeurs. La santé des dirigeants : un secteur de prévention prioritaire ? Estelle MARLOT – L’enquête menée sur la santé des dirigeants par la Fondation MMA montre que 50 % des dirigeants souffrent de fatigue, 50 % de stress et 40 % de nervosité ; 69 % évoquent au moins un trouble de santé et, malgré cela, 28 % des dirigeants reconnaissent n’avoir mis en place aucune démarche de soins. Selon vous, à quoi est due cette forte négligence que les dirigeants ont à l’égard de leur propre santé ? Héloïse HALIDAY – À mon sens, oui, la santé des dirigeants est un secteur de prévention prioritaire. Mais je vais d’emblée être prudente en disant que c’est oui du point de vue d’une psychiste, de quelqu’un qui s’intéresse beaucoup plus à la santé mentale. Du côté de la santé physique, nous savons qu’il y a des formes de pénibilité du travail qui abîment considérablement plus le corps que le travail physique tel qu’il est fait par les directeurs d’hôpital. En revanche, du point de vue psychique, il y a beaucoup de choses très complexes, et donc très intéressantes à étudier, que les directeurs d’hôpital sont obligés de mettre en place vis-à-vis d’eux-mêmes dans le travail psychique qu’ils font pour rester en lien, avec une attention permanente à ce que leur disent les personnes avec qui ils font parfois huit réunions par jour sur des thèmes différents. Là, je pense qu’effectivement il y a quelque chose d’intéressant parce que ne pas prendre soin de soi est une forme de déni de toute possibilité qu’il nous arrive quelque chose (c’est vu, par exemple, chez les soignants, parfois même chez les médecins). C’est entrer dans une profession avec l’illusion, le fantasme que le fait même d’aborder un certain métier, d’entrer dans un certain corps professionnel nous éloignera de tout risque et de toute maladie, de toute difficulté (c’est de la pensée magique). C’est typiquement un fantasme retrouvé chez les soignants. Serait-il retrouvé chez les directeurs d’hôpital ? Ce serait une question intéressante. Plus encore, il y a évidemment un certain éthos, une certaine éthique du travail qui est malheureusement un peu dévoyée chez les directeurs d’hôpital, c’est-à-dire un éthos du sacrifice. C’est quelque chose que j’ai entendu dans mes entretiens. Cela résonne quand même très fort, peut-être beaucoup plus
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La circulaire interministérielle n° DGOS/RH4/DGCS/DGAFP/2024/3 relative à la protection fonctionnelle des personnels des établissements de la fonction publique hospitalière, signée en mai 2024, détaille l’ensemble du dispositif en précisant les principes généraux de la protection fonctionnelle, ses conditions d’octroi, la procédure de déclenchement et les modalités présidant à sa mise en œuvre. Qu’est-ce que la protection fonctionnelle ? La protection fonctionnelle (PF) est le droit pour tout agent public d’être protégé par son administration contre les attaques subies dans l’exercice de ses fonctions, lorsqu’il fait l’objet de poursuites pénales ou de condamnations civiles pour des faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle. Elle n’est pas facultative. Qui peut en bénéficier ? L’agent public (titulaire, stagiaire et contractuel) ou l’ancien agent public (retraité ou ayant quitté la fonction publique). Les personnels médicaux odontologiques et pharmaceutiques, tous statuts confondus, les personnels enseignants et hospitaliers titulaires (PU-PH et MCU-PH), de même que les praticiens hospitaliers universitaires et les personnels enseignants hospitaliers contractuels (CCU-AH et AHU), pour leurs missions au sein d’un CHU. Les étudiants en deuxième et troisième cycles des études de médecine, odontologie, maïeutique et pharmacie. Les collaborateurs occasionnels et bénévoles du service public, dont les étudiants médicaux n’ayant pas atteint le deuxième cycle des études et les étudiants paramédicaux durant leurs stages. Les ayants droit et le conjoint s’ils sont eux-mêmes victimes d’une atteinte à leur intégrité physique. Quelle est l’administration compétente pour l’accorder ? De manière générale, il s’agit de la collectivité publique qui emploie l’agent à la date des faits. Pour les personnels de direction, DH et D3S, c’est le DG d’ARS ou le préfet ; pour les DS, il s’agit du chef d’établissement. En application du principe d’impartialité, lorsque la demande concerne un conflit impliquant l’autorité compétente pour accorder la PF, il lui appartient de la transmettre au DG de l’ARS ou au représentant de l’État dans le département selon la nature de l’établissement. Quelles sont les conditions d’octroi ? En cas d’attaques à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, l’agent victime doit démontrer la réalité des faits, le caractère intentionnel de l’attaque, son lien avec sa qualité d’agent public et l’effectivité du préjudice. En cas de harcèlement, la charge de la preuve est allégée, l’agent fournit un faisceau d’indices qui permet de supposer l’existence de tels faits, la charge de la preuve du contraire incombe à l’administration. En revanche, la réparation du préjudice lié à l’exposition d’un agent à des agissements de harcèlement suppose que leur matérialité soit établie. Dès lors que l’existence d’une faute personnelle est écartée, l’administration est tenue d’assurer la protection de l’agent en cas de poursuites pénales consécutives à une faute de service ou de prendre en charge les condamnations civiles prononcées à son encontre. Lorsque l’agent est entendu dans le cadre d’une garde à vue, d’une comparution comme témoin assisté ou d’une mesure de composition pénale, la PF est accordée avant même que l’action publique ait été mise en mouvement. Le CGFP ne permet pas d’accorder la PF lorsque l’agent est convoqué ou auditionné par la police ou la gendarmerie, ou en cas d’ouverture d’une enquête préliminaire, actes qui interviennent avant le déclenchement de la poursuite pénale. Cette disposition a été remise en cause dans une décision n° 2024-1098 QPC du 4 juillet 2024 du Conseil constitutionnel qui a jugé que le fait de ne pas octroyer la PF aux agents entendus librement durant une enquête est « contraire à la Constitution » puisqu’il méconnaît le principe d’égalité devant la loi. Comment est-elle déclenchée ? L’agent victime d’une attaque ou poursuivi devant une juridiction répressive pour faute de service doit en informer par écrit sans délai sa hiérarchie ou l’autorité compétente pour les personnels de direction. La demande de PF n’est enfermée dans aucun délai. Lorsque la PF est déclenchée dans le cadre des mesures prises à titre conservatoire prévues par l’article L. 134-6 du CGFP (existence d’un risque manifeste d’atteinte grave à l’intégrité physique de l’agent public), elle l’est indépendamment d’une demande préalable de l’agent. Il est recommandé d’accuser réception de la demande auprès de l’agent et souhaitable de statuer dans les meilleurs délais sur la demande en apportant une réponse écrite. En cas de refus de la PF, il est préconisé que la décision soit prise de manière explicite par l’administration. Cette décision doit alors être motivée en droit et en fait et comporter les voies et délais de recours. Le refus illégal de la protection fonctionnelle engage la responsabilité de l’administration, si l’agent subit, de ce fait, un préjudice. Le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut rejet de la protection. En revanche, lorsque l’agent demande la communication des motifs du rejet de sa demande, l’administration est dans l’obligation de lui répondre, dans un délai d’un mois. La réponse doit alors être motivée en droit et en fait et mentionner les voies et délais de recours. En cas d’acceptation, l’autorité administrative compétente devra indiquer selon quelles modalités elle envisage d’accorder la protection. La décision accordant le bénéfice de la PF est une décision individuelle créatrice de droit. Comment est-elle mise en œuvre ? L’employeur, ou l’autorité compétente, est tenu de prendre toutes les mesures adaptées à la nature de la menace ou de l’attaque dont un agent est victime. Il ne peut s’y soustraire ou mettre en œuvre des mesures insuffisantes ou inadaptées à la situation, sous peine d’être sanctionné par le juge et de voir sa responsabilité engagée. Le directeur d’établissement, ou l’autorité compétente pour les personnels de direction, peut engager un certain nombre de démarches afin : d’assurer la sécurité de l’agent ; de lui apporter un soutien moral et institutionnel par les moyens les plus appropriés (lettre, communiqué, entretien) ; de répondre de manière systématique avec la plus grande fermeté en cas de diffamation, menace ou injure véhiculées sur les réseaux sociaux visant nominativement l’agent public, notamment en usant de son droit de réponse ou de rectification en tant qu’employeur (via par exemple un communiqué) ; de favoriser sa prise en charge médicale et psychologique ; d’engager une procédure disciplinaire à l’encontre de l’auteur présumé des attaques lorsque celui-ci est
L’article 97 de la loi du 9 janvier 1986 prévoit que les établissements « accordent des décharges d’activité de service aux responsables des organisations syndicales représentatives et mettent des fonctionnaires à la disposition des organisations syndicales nationales représentatives » et que ces fonctionnaires sont réputés être en position d’activité. Le décret n° 86-660 du 19 mars 1986 relatif à l’exercice du droit syndical dans les établissements hospitaliers prévoit que la quotité de mise à disposition ne peut être inférieure à 20 %. L’article 13 10° du décret n° 88-976 du 13 octobre 1988 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires hospitaliers prévoit le détachement pour exercer un mandat syndical. Concernant les règles d’avancement, la rémunération et l’attribution de la nouvelle bonification indiciaire, c’est le décret 2017-1419 relatif aux garanties accordées aux agents publics exerçant une activité syndicale du 28 septembre 2017 qui les détermine pour les agents publics qui bénéficient de mises à disposition – MAD – ou de décharges d’activité de service – DAS – et consacrent la totalité de leur service ou une quotité de temps de travail égale ou supérieure à 70 % d’un temps plein à une activité syndicale. RÉMUNÉRATION Situation de l’agent en décharge totale d’activité Un agent en décharge totale d’activité ou mis à disposition doit conserver le montant annuel des primes et indemnités attachées aux fonctions exercées dans son corps ou cadre d’emploi d’origine. Pour les primes versées au titre de l’engagement professionnel ou de la manière de servir, il reçoit le montant moyen des agents du même corps ou cadre d’emplois et relevant de la même autorité de gestion. Si l’agent perd le droit à une concession de logement par nécessité de service, il bénéficie alors des primes correspondant à celles d’un agent non logé. Sont exclues de ce maintien les primes dont l’objet est de compenser des frais, charges et contraintes particulières : celles liées au dépassement de cycle de travail qui ne sont pas versées à l’ensemble des agents du corps ; celles tenant au lieu d’exercice réel des fonctions lorsque le changement de résidence de l’agent concerné ne justifie plus le versement de celle-ci ; celles pour horaires atypiques lorsqu’elles ne sont pas versées à la majorité des agents de la même spécialité ou, à défaut, du même corps ou cadre d’emplois ; les primes et indemnités soumises à l’avis d’une instance et attribuées pour une durée déterminée une fois leur délai d’attribution expiré. Le tribunal administratif de Poitiers, dans son jugement n° 1902729 du 29 juin 2021, a considéré, au visa des dispositions précitées : « Toutefois, si cette indemnité (l’indemnité forfaitaire pour travail les dimanches) est liée à l’exercice effectif des fonctions les dimanches […], il résulte des dispositions du décret du 28 septembre 2017 que l’agent bénéficiant d’une décharge totale d’activité continue désormais à percevoir les indemnités liées à des horaires de travail atypiques lorsqu’elles sont versées à la majorité des agents de la même spécialité. » En cas de révision favorable du régime indemnitaire postérieure à la décharge, l’agent reçoit la nouvelle prime basée sur le montant moyen pour un poste similaire. Si une prime est supprimée dans cette révision, elle n’est plus versée à l’agent. Le maintien de la NBI est également prévu dans l’hypothèse où l’agent a exercé pendant au moins six mois les fonctions y donnant droit avant décharge syndicale. L’agent qui bénéficie d’une décharge totale de service pour l’exercice d’un mandat syndical bénéficie de l’accès aux dispositifs de prestations d’action sociale et de protection sociale complémentaire institués, en application des articles 9 et 22 bis de la loi du 13 juillet 1983, par l’employeur qui a accordé la décharge d’activité ou la mise à disposition. Situation de l’agent en décharge partielle d’activité sur une quotité de travail entre 70 % et 100 % L’agent qui consacre à une activité syndicale une quotité de temps de travail au moins égale à 70 % et inférieure à 100 % d’un service à temps plein a droit au versement de l’ensemble des primes et indemnités attachées à son grade ou aux fonctions qu’il continue d’exercer. Le taux appliqué à ces primes et indemnités est celui correspondant à l’exercice effectif de fonctions à temps plein. Situation de l’agent en décharge partielle d’activité sur une quotité de travail inférieure à 70 % Le régime indemnitaire des fonctionnaires exerçant une activité syndicale sur une quotité de temps de travail inférieure à 70 % d’un temps plein n’est régi par aucun texte réglementaire spécifique. Il convient de continuer de leur appliquer la jurisprudence du Conseil d’État précédant l’entrée en vigueur du décret de 2017, laquelle continue, de prévaloir dans les situations qui n’ont pas été distinguées par ce décret. Le Conseil d’État fixe le droit au maintien du bénéfice de l’ensemble des primes et indemnités attachées à l’emploi occupé avant la décharge, à l’exception des indemnités représentatives de frais et des indemnités compensant les charges et contraintes particulières, liées notamment à l’horaire, à la durée du travail ou au lieu d’exercice des fonctions, auxquelles le fonctionnaire n’est plus exposé en raison de la décharge (CE – 27 juillet 2012, n° 344801). Situation des agents contractuels bénéficiant d’une décharge d’activité pour l’exercice d’une activité syndicale Les agents contractuels sont également exclus du champ d’application des dispositions du décret du 28 septembre 2017 relatives à la rémunération des agents publics bénéficiant d’une décharge d’activité ou de mise à disposition auprès d’une organisation syndicale. Ce sont donc les dispositions de droit commun qui s’appliquent à eux, au même titre que pour les fonctionnaires dont les activités syndicales sont inférieures à 70 % d’un temps plein. LA CARRIÈRE L’article L.212-1 du Code général de la fonction publique dispose que, sous réserve des nécessités du service, l’agent public est réputé conserver sa position statutaire ou les stipulations de son contrat lorsque : en qualité de fonctionnaire, il bénéficie, en position d’activité ou de détachement, d’une décharge d’activité de services à titre syndical ; en qualité d’agent contractuel, il bénéficie d’une décharge d’activité de services à titre syndical ; en qualité de fonctionnaire ou d’agent contractuel, il est mis à la disposition d’une organisation syndicale. Le cadre réglementaire garantit que les droits à l’avancement des fonctionnaires ne sont pas
Au printemps, une vague #MeTooHopital a mis en lumière l’expression sans précédent de victimes de violences sexistes et sexuelles dans nos secteurs professionnels. Avant l’été, le gouvernement a lancé un groupe de travail avec les associations et partenaires sociaux auquel le SYNCASS-CFDT a participé au titre de la CFDT Santé-Sociaux. Syndicat féministe et engagé sur ce thème depuis plus de cinquante ans, la CFDT continue de promouvoir activement l’égalité professionnelle et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS). Ce dossier présente des initiatives en œuvre dans notre secteur. Le SYNCASS-CFDT a recueilli les témoignages de directeurs impliqués dans la lutte contre les VSS et pour l’égalité professionnelle dans les établissements – Cédric COUTRON, référent égalité professionnelle au CNG, Guillaume COUVREUR, directeur des ressources humaines au CH de Roubaix, Albane TRIHAN, directrice en charge de l’égalité professionnelle pour l’AP-HP – et de trois lauréates du programme Talentueuses : Sandrine DELAGE, Fanny GAUDIN et Marion ROSENAU BRUNEAU.
Guillaume COUVREUR DRH du centre hospitalier de Roubaix Le CH de Roubaix a été récompensé récemment par plusieurs prix (MGEN, GMF et MNH) pour son projet de lutte contre les violences intrafamiliales. Peux-tu nous dire quelle est la genèse de ce projet ? Le CH s’est engagé à partir de 2022 sur le repérage et la lutte contre les violences faites aux femmes (VFF) dont pourraient souffrir nos patientes, avec un focus sur les secteurs de la maternité, des urgences adultes et de la pédiatrie. Cet engagement nous a fait réfléchir sur le fait que nous montions des projets pour les patientes et non pour les agents. Les études estiment à une sur dix le nombre de femmes victimes de violences intrafamiliales (VIF) au cours de leur vie. Nous nous sommes dit que l’employeur avait une responsabilité et un rôle à jouer, surtout à l’hôpital où 75 % des salariés sont des femmes. Nous avons alors lancé un groupe de travail sur un projet piloté par le DRH et une médecin urgentiste qui a rédigé un mémoire universitaire sur le rôle de l’employeur dans l’accompagnement des VIF. Le groupe s’est nommé Daphné, en hommage à la nymphe de la mythologie grecque, harcelée par Apollon et qui demande à être métamorphosée en laurier pour lui échapper. Le groupe, composé de professionnels issus de secteurs et de métiers différents – psychologue, DRH, médecins, service de santé au travail, organisations syndicales, cadres, service social – s’est réuni en septembre 2023. L’objectif de Daphné était de fournir un livrable fin décembre 2023. Ce livrable présentait une déclinaison de différentes actions autour de trois axes : Communiquer : diffusion de supports (« violentomètre » et cycle des violences, triptyque d’information, affiches…), réunions d’encadrement et martèlement du message autour du paradigme de « safe zone ». Repérer : formation de près de 600 agents et transformation du groupe de travail Daphné en un réseau de référents qui sont autant de portes d’entrée du dispositif. Accompagner : kits logistiques d’urgence, solution d’hébergement, possibilité de consultations sur le temps de travail, ouverture du fond du temps solidaire aux victimes de VIF, mise en réseau avec les associations du territoire. Combien de femmes salariées de l’établissement ont pu se faire accompagner ? Quel pourcentage cela représente-t-il par rapport au nombre d’employées ? Des hommes ont-ils été concernés ? L’établissement compte environ 2 800 femmes salariées, ce qui représente 280 victimes potentielles si nous tenons compte des moyennes des études. Jusqu’à présent, le CH a accompagné 15 femmes en six mois, soit autant en un semestre que pendant les dix années précédentes. Ces femmes sont des personnels médicaux et non médicaux. Aucun homme n’a été concerné à ce jour. Ce projet a-t-il eu un retentissement plus important que prévu ? A-t-il eu des effets en matière de prise de conscience ? Oui, un retentissement beaucoup plus important que prévu : nous avons multiplié par vingt le ratio de femmes salariées victimes de VIF accompagnées. C’est la preuve qu’il y a un besoin et que l’implication de l’employeur en matière de VIF est salvatrice. Les formations ont entraîné une sensibilisation des agents et ont permis le repérage de situations de victimes de VIF mais aussi de VSST. Cette sensibilisation a libéré la parole de femmes victimes et, en même temps, a permis à des professionnels d’oser en parler avec des collègues qui ont alors été encouragées et soutenues pour se faire aider. Le message autour de la « safe zone » a été compris et assimilé par les équipes. Cela a entrainé un véritable changement de paradigme, y compris dans la culture managériale. La culture qui prévalait auparavant était : quand tu enfiles ta blouse, le privé ne doit pas interférer. Les résistances étaient notamment exprimées de la part de certains encadrants mais il n’y a pas eu d’appel d’air constaté vers d’autres sujets d’ordre privé. Pour une meilleure sensibilisation de tous, nous avons constitué un réseau de référents qui peut s’appuyer sur l’ensemble des agents formés (près de 600), qui sont autant de vigies susceptibles d’alerter. De plus, au niveau du service de santé au travail, nous avons systématisé lors de la visite périodique une série de questions autour des VIF. Les études montrent que les victimes sont prêtes à en parler dès lors que la question leur est posée. En fonction de la réponse ou de la réaction, le médecin peut utiliser un arbre décisionnel, accompagner et orienter la victime. Le groupe de travail Daphné devait s’arrêter en janvier 2024. La dynamique créée a dépassé cette limite et les membres du groupe sont devenus des référents qui ont signé une charte de confidentialité et sont autant de portes d’entrée pour toute victime de VIF, qui peut ainsi saisir le référent avec lequel elle est le plus à l’aise. Quels ont été les freins et les réussites ? Y a-t-il eu des ajustements nécessaires ? Le dispositif doit-il évoluer et si oui, comment ? La culture managériale a dû évoluer pour accepter que cet aspect de la sphère privée puisse entrer à l’hôpital pour un soutien effectif de l’employeur. Dans la lutte contre les violences intrafamiliales, le logement est un problème important pour la mise à l’abri de la victime en urgence. Le CH dispose d’un parc de logements dont l’un a été mis à disposition pour les salariées victimes. Elles sont ensuite accompagnées, si besoin, par une assistante sociale pour un logement pérenne. Le combat contre les VIF sera remporté si nous parvenons à diffuser le projet Daphné et que celui-ci soit partagé par d’autres structures : pouvons-nous avoir l’ambition raisonnable de faire de tous les établissements publics de santé des « safe zone » pour les victimes de VIF ? Les victimes de VSST bénéficient-elles du même accompagnement ou les dispositifs sont-ils distincts, et si tel est le cas, pour quelles raisons ? Les dispositifs sont distincts. Des dispositifs antérieurs existaient sur la détection et l’accompagnement des VSST. Le dispositif de déclaration d’événement indésirable prévoit, en cas d’événement type « harcèlement » ou « VSST », le déclenchement sous 48 heures d’une réunion du comité des risques psychosociaux pour analyser la déclaration et déclencher si nécessaire une enquête administrative rapide. Cela étant, les projets
Albane TRIHAN Directrice en charge de l’égalité professionnelle à l’AP-HP En quoi consiste ton rôle de directrice égalité professionnelle à l’AP-HP ? As-tu constitué un réseau de référents ? Si oui, comment animes-tu ce réseau ? Au sein du département Santé, qualité de vie et conditions de travail (DSQVCT), la directrice en charge de l’égalité professionnelle veille à la mise en œuvre du plan d’action AP-HP 2023-2025. Elle anime par ailleurs le comité de suivi du plan composé des référents des six groupes hospitalo-universitaires (GHU), des pôles d’intérêts communs et des hôpitaux de l’AP-HP hors GHU. Nous avons également souhaité associer les organisations syndicales représentatives à ce comité de suivi du plan, la référente QVCT de l’ARS ainsi qu’une représentante de Donner des ELLES à la santé, association avec laquelle nous avons signé la charte d’engagement « Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes », soit 40 membres invités qui se réunissent régulièrement, à raison de quatre fois par an. L’animation du comité est très interactive : il y a toujours, certes, une partie « actualité de l’égalité professionnelle » où les différents professionnels de l’institution en charge d’une action « égalité professionnelle » viennent présenter l’avancée du projet ; il y a également la présentation par les référents des GHU/pôle d’intérêt commun (PIC)/hôpitaux d’une « action réussite », qui est reproductible, a priori, et qui permet aux autres référents de s’en saisir et de la mettre en œuvre à l’échelle de son GHU. Enfin, il y a systématiquement un atelier Post-it pour résoudre un problème sur lequel nous butons collectivement. La dernière fois, il s’agissait de répondre à la question : comment faire mieux connaître les actions entreprises en matière d’égalité professionnelle ? Le premier protocole d’accord relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique date de 2013. L’AP-HP s’en est-elle saisi immédiatement ? Quelles sont les évolutions majeures depuis 10 ans à l’AP-HP ? L’AP-HP a proposé aux organisations syndicales, pour avis en comité social d’établissement (CSE), une première feuille de route « égalité professionnelle » en 2021, à la suite du protocole d’accord de 2018, sous l’impulsion de la directrice de cabinet de l’époque ; mais c’est réellement en septembre 2022 que l’institution s’est saisie de ce sujet en créant, au sein de la DRH AP-HP, une mission « Qualité de vie et conditions de travail » dans laquelle j’ai pris mes fonctions de directrice en charge de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. L’arrivée d’un nouveau directeur général a définitivement ancré le sujet de l’égalité professionnelle comme une priorité institutionnelle. Au-delà de la structuration de la démarche de l’égalité professionnelle (plan, référents, comitologie), faire de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes une priorité institutionnelle repose sur une prise de conscience collective : notre institution doit s’adapter à la majorité d’entre nous et non l’inverse. Or, l’AP-HP, comme tous les hôpitaux, emploie 75 % de femmes ! Depuis un an, nous multiplions les sensibilisations et les formations pour acculturer l’ensemble des professionnels à l’égalité professionnelle, et plus spécifiquement les manageurs, pour une meilleure prise en compte de l’articulation vie professionnelle/vie personnelle ou encore pour les sensibiliser à la prévention et au traitement des violences sexistes et sexuelles. Sur ce dernier point, nous sommes lauréats du Fonds pour l’égalité professionnelle 2024 pour l’expérimentation d’une formation basée sur l’intelligence artificielle afin de doter les professionnels de stratégies pour réagir aux comportements inappropriés dont elles/ils pourraient être victimes ou témoins. Nous organisons également des événements et des manifestations, dont le dernier en date est la signature, par le directeur général, le président de la CME et le doyen, de la charte de l’association Donner des ELLES à la santé. Nous encourageons les femmes à prendre de plus hautes responsabilités et nous soutenons celles qui veulent se lancer grâce à des formations en management et du coaching. Pour nous, l’égalité professionnelle nécessite un changement de modèle et de culture qui nous amène à innover en matière de management. Plus globalement, l’égalité professionnelle doit être l’affaire de tous, des femmes certes mais également des hommes, et ce au bénéfice de tous ! A contrario, quelles sont les actions qui rencontrent le plus de difficultés et pourquoi ? Malgré la loi n° 2023-623 du 19 juillet 2023 qui oblige les hôpitaux à tendre vers la parité dans les nominations des femmes médecins aux postes à plus grandes responsabilités, nous butons actuellement sur l’accès des femmes médecins aux postes de chefferie de service et de pôle. Pour avancer, nous mettons en place dès septembre un groupe de travail composé des présidentes et présidents de CME centrales et locales, le doyen, les directions des GHU, le président de la commission CME « Carrière et formation »… afin de partager l’objectif des 50 % de femmes médecins primo-nommées et la méthode pour y parvenir. L’axe 3 du plan de l’AP-HP « Promouvoir l’évolution de carrière des femmes aux postes d’encadrement supérieur ou à responsabilité » concerne essentiellement les femmes médecins. Y a-t-il une volonté qu’il se traduise pour les équipes de direction ? Quelle est la proportionnalité femmes/hommes des postes fonctionnels ou AEF à l’AP-HP ? Existe-t-il des statistiques permettant une cartographie des types de postes occupés par les hommes et les femmes ? À l’AP-HP, nous satisfaisons à la loi du 19 juillet 2023 pour les emplois de direction, avec une parité entre les femmes et les hommes des emplois fonctionnels des DH et D3S. C’est pour cette raison que nous n’avons pas d’action spécifique pour les équipes de direction. Au top management, nous avons un directeur général, trois directrices générales adjointes et une directrice de cabinet ; et trois femmes sur six à la tête des groupements hospitalo-universitaires, par exemple. Concernant la lutte contre les VSST, l’AP-HP a mis en place un dispositif central de recueil et de traitement des signalements. Dans le plan, il était prévu d’ouvrir les dispositifs d’accompagnement des femmes victimes de violence aux professionnelles (partenariat avec les maisons des femmes, logement, numéro unique). À quel stade en sont ces projets ? Combien de professionnelles ont signalé, ont été accompagnées et comment ? Quels ont été les freins et les réussites ? En écrivant le plan début 2023, il est apparu important de
Améliorer ensemble nos conditions d’exercice Ce qui agite notre quotidien professionnel, cadres et directeurs de la fonction publique hospitalière, directeurs du privé, pharmaciens et médecins adhérents du SYNCASS-CFDT, ce sont les conditions d’exercice. Du fait de nos responsabilités particulières au sein des équipes et à la tête des établissements, nous entendons le sentiment de dégradation qui monte des rangs de nos agents et dans nos services et tentons, avec les moyens dont nous disposons, d’y répondre. C’est l’une de nos missions essentielles, d’autant plus que l’attention à la qualité de vie au travail est une des sources de l’attractivité, et donc de la fidélisation comme du recrutement des ressources humaines. Mais qu’en est-il pour nous ? Le contexte d’exercice, l’évolution de nos responsabilités et du cadre dans lequel elles sont évaluées et contrôlées, notre droit à la protection dans le cadre de nos fonctions, nous conduisent à interroger dans ce numéro la préoccupation (ou plutôt l’absence de préoccupation ?) pour notre santé, à en étudier les ressorts et les conséquences. Enfin, dans la continuité de son engagement féministe historique et des valeurs de respect et d’égalité portées par la CFDT, la pièce centrale de ce numéro est consacrée à l’égalité professionnelle femme-homme. Avec pour principe, dans la lignée de nos revendications, de décortiquer des exemples concrets d’actions, menées par des collègues, sur le terrain, dans des lieux et des espaces variés, mais toujours avec le souci d’aboutir à des résultats tangibles. Plus encore que dans d’autres domaines, les paroles ne suffisent pas à changer les choses, il faut des actes. Les politiques, lorsqu’elles ont le mérite d’exister, doivent être activées, déployées, relayées, par des femmes et des hommes convaincus de leur intérêt. Merci à tous les collègues qui ont bien voulu nous témoigner de leur action en faveur de cette cause que nous partageons collectivement. Et que leur exemple fasse des émules. Je vous souhaite une bonne lecture.
Cédric COUTRON Référent égalité femmes-hommes au CNG Pouvez-vous nous présenter votre rôle de référent égalité femmes-hommes au CNG ? J’ai été nommé référent égalité femmes-hommes pour l’ensemble des corps gérés par le CNG (praticiens hospitaliers, personnels enseignants et hospitaliers, directeurs d’hôpital, directeurs d’établissement sanitaire, social et médico-social et directeurs des soins) à compter de juillet 2023. La nouvelle directrice générale du CNG a en effet voulu intensifier notre mobilisation sur ce sujet. Cela s’inscrit dans un contexte de volonté générale de changement, avec la signature de la charte de l’association « Donner des ELLES à la santé » et la promulgation de la loi n° 2023-623 du 19 juillet 2023 visant à renforcer l’accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique. Je pilote un plan d’actions qui a pour but d’objectiver et de progressivement faire diminuer les inégalités entre les femmes et les hommes, en particulier sur la question de l’accès aux responsabilités, mais également de lutter contre les violences sexistes et sexuelles (VSS). Je peux être contacté en première intention par les personnes qui sont victimes de VSS pour les orienter, en fonction de la situation et de ce qu’elles souhaitent faire, dans les démarches qu’elles pourraient lancer. En quelle année a été lancé le dispositif « PasSansElles » ? Pouvez-vous nous en expliquer le principe et faire un premier bilan de ses résultats ? PasSansElles est un dispositif de « marrainage » lancé en 2023 par le CNG. Il est destiné à des directrices qui sont très proches d’accéder à une chefferie de groupe I ou à une direction générale de CHU, après plusieurs candidatures déjà émises. Ces directrices sont accompagnées par des directrices générales de CHU expérimentées en poste mais n’ayant pas d’enjeu de carrière, ou qui ont quitté cette fonction. Sept binômes ont ainsi été constitués et l’objectif était que chacun puisse régulièrement faire le point, notamment que la marraine aide à préparer les entretiens de recrutement. Une réunion de retour d’expérience a été organisée et autant les marraines que les filleules ont été très satisfaites de ces temps d’échanges. Trois directrices sur sept ont connu depuis une issue favorable dans leurs démarches professionnelles. L’objectif est de relancer le dispositif fin 2024-début 2025. Bien que les short-lists des instances collégiales respectent la parité, le nombre de femmes occupant des postes de chefferie DH reste largement inférieur à leur proportion au sein du corps : 26,9 % des emplois supérieurs DH sont occupés par des femmes alors qu’elles représentent 51,8 % du corps (selon les statistiques du CNG au 1er janvier 2023). Quelles actions de sensibilisation aux biais de recrutement le CNG prévoit-il pour les recruteurs (ARS, présidents de conseil de surveillance) ? Nous avons tous un rôle actif à jouer en la matière. Le CNG agit à plusieurs niveaux. D’abord susciter et encourager les candidatures féminines, qui sont encore trop peu nombreuses, comparées aux candidatures masculines. Le CNG élabore en effet, autant que faire se peut, des listes courtes paritaires et retient, le cas échéant, les candidatures féminines sur plusieurs postes lors d’un même tour de recrutement, ce qu’il ne fait pas pour les candidatures masculines en dehors de certaines situations particulières. Enfin, l’accompagnement proposé par le programme Talentueuses peut aider en ce sens les femmes à comprendre leurs freins et à les lever. Nous voulons également travailler avec les recruteurs (ARS-PCS) sur les représentations et les biais de recrutement : chacun d’entre nous peut avoir des biais cognitifs qui l’influencent dans son activité professionnelle, notamment dans le recrutement ; pour autant, en prenant conscience de ces biais, il est possible d’y être davantage vigilant. Le CNG a ainsi mis en place des sessions de sensibilisation à ces biais assurées par le groupe Egae1, qui permettent d’informer les autorités de recrutement, et autorités dont l’avis est requis, sur les différents types de discrimination (au-delà des discriminations liées au sexe ou à l’identité de genre) et les biais cognitifs fréquents. Ce sont des sessions non culpabilisantes car, encore une fois, chacun d’entre nous peut, sans le vouloir, discriminer ou avoir des biais cognitifs. Ces formations sont cofinancés par le Fonds en faveur de l’égalité professionnelle (FEP) en 2024. Elles sont proposées également aux PCME, acteurs du recrutement médical et de la désignation des responsables de service et de pôle. Quels sont, selon vous, les principaux freins à l’accès des femmes aux emplois supérieurs ? Je pense qu’il s’agit d’une problématique complexe, qui prend ses racines dans notre culture, dans la manière dont la société fonctionne en général et dans les représentations que nous avons, aussi bien des hommes que des femmes. Ces représentations sont d’ailleurs bien ancrées et cela nécessite un véritable travail pour les dépasser. Et les femmes intègrent parfois elles-mêmes ces représentations sur les femmes, croyant qu’elles ne sont pas faites pour accéder à des responsabilités supérieures, encore souvent perçues dans notre société comme une « affaire d’hommes ». Tout l’enjeu est donc d’arriver à faire oser les femmes, à leur donner confiance en elles, à les convaincre qu’elles sont évidemment tout aussi compétentes que les hommes pour diriger des établissements, des pôles d’activités, des services de soins, etc. Permettre aux femmes de dépasser ces freins fait également appel à des changements culturels au sein de la famille, avec davantage de partage des tâches, rendant la prise de fonctions supérieures possible ainsi que des changements culturels dans la perception que peuvent avoir les recruteurs ou les équipes vis-à-vis de candidatures féminines. Le programme Talentueuses, qui accompagne en inter-fonctions publiques des femmes qui souhaitent accéder à des responsabilités supérieures, est justement une réponse à ces différents freins, internes ou externes, que peuvent ressentir nos directrices. Le CNG vient de publier les résultats d’une enquête nationale après des directeurs titulaires de la FPH. Cinquante-neuf pour cent des directeurs sont soit intéressés par une chefferie ou un emploi supérieur, soit y ont déjà accédé : les hommes se déclarent plus intéressés (69,5 %) que les femmes (52 %). L’enquête révèle aussi de forts écarts de perception entre les femmes et les hommes sur divers aspects professionnels : les hommes pensent beaucoup moins que les femmes que le leadership puisse être différemment perçu selon
Le parcours Talentueuses est destiné aux femmes ayant construit un parcours professionnel leur permettant de prétendre dans un avenir proche à des postes fonctionnels de direction dans la fonction publique. Pour la fonction publique hospitalière, le programme s’adresse à des femmes directrices d’hôpital qui ambitionnent d’accéder dans les 6 à 18 mois à une chefferie d’établissement ou un emploi fonctionnel (cheffe ou adjointe). La formation offre : de développer leur connaissance de soi (forces/faiblesses, intelligence émotionnelle, finalités personnelles) ; de travailler leur marque personnelle (assertivité, image, visibilité) ; de booster leur leadership (comprendre l’autre, dynamique d’équipe, style de management/leadership, management situationnel) ; de bâtir un plan de développement personnel (objectifs déclinés en actions) ; de faire partie intégrante d’un collectif féminin de soutien et d’émulation. Le SYNCASS-CFDT a demandé à trois lauréates de la session 2023-2024 de partager leur expérience : Sandrine DELAGE, directrice du CH Erdre-et-Loire, à Ancenis, Fanny GAUDIN, déléguée générale du GCS Hôpitaux universitaires du Grand Ouest (HUGO), et Marion ROSENAU BRUNEAU, directrice adjointe au CHU de Nancy. Sandrine DELAGE Directrice du CH Erdre-et-Loire Ancenis Fanny GAUDIN Déléguée générale du GCS hôpitaux universitaires du Grand Ouest (HUGO) Marion ROSENAU BRUNEAU Directrice adjointe au CHU de Nancy Vous faites partie des directrices de la FPH sélectionnées pour participer au programme Talentueuses. Quels sont vos parcours depuis que vous êtes sorties de l’EHESP ? Sandrine DELAGE – Je suis issue de la 33e promotion, et j’ai exercé différentes fonctions de directrice adjointe dans trois CHU, à Reims, Rennes et Nantes. J’ai alterné des directions fonctionnelles et des directions de site en prise directe avec le management de pôles d’activités cliniques et la gestion de projets complexes, comme la restructuration/construction de bâtiment hospitalier. En 2017, je suis devenue cheffe d’établissement et je dirige le centre hospitalier Erdre-et-Loire, à Ancenis, en Loire-Atlantique. Fanny GAUDIN – J’ai eu la chance de connaître un parcours diversifié, tant sur le plan fonctionnel que géographique et au sein d’établissements de tailles très différentes. J’ai commencé en 2008 en tant que directrice des achats, système d’information et travaux au CH de Bayeux, en prolongement de mon stage long d’EDH. J’ai eu ensuite l’envie d’une expérience en outre-mer. J’ai pris un poste de directrice des affaires générales et financières/SI au centre hospitalier de Mayotte, où je suis restée deux ans et demi. Cette expérience inédite s’est révélée très formatrice, le CHM étant le seul opérateur de santé de l’île, nous conduisant à construire et développer l’offre de santé et médico-sociale, en lien étroit avec la délégation départementale de l’ARS. J’ai ensuite découvert l’environnement des CHU en exerçant en tant qu’adjointe au DRH au CHU de Brest, puis DRH et directrice déléguée de pôle. En 2019, souhaitant toujours évoluer dans la découverte hospitalière, j’ai eu l’opportunité de prendre la direction de la recherche et de l’innovation. J’ai également réalisé l’intérim du DGA durant la période Covid. La découverte de l’écosystème de la recherche et de l’innovation m’a assez naturellement conduite au GCS Hôpitaux universitaires du Grand Ouest (HUGO), où j’exerce en tant que déléguée générale depuis mars 2022. Marion ROSENAU BRUNEAU – J’ai commencé par un poste aux affaires générales aux hôpitaux civils de Colmar (68) auprès de Christine Fiat, établissement qui a été mon terrain de stage. J’ai ensuite muté vers le CHR de Metz-Thionville et le CH de Briey (57) sur un poste de directrice logistique achats et hôtellerie avec, comme projet phare, le déménagement et l’ouverture du nouvel hôpital de Mercy à l’été 2012. Nous avons ensuite avec mon conjoint (également DH) muté en Bretagne où j’ai poursuivi ma carrière durant trois ans au centre hospitalier intercommunal de Cornouaille (29) comme directrice des ressources matérielles, en élargissant le spectre de mes compétences aux travaux, à la sécurité et au biomédical, tout en étant administratrice du GCS Blanchisserie de Cornouaille. Suite à une proposition de poste de Bernard DUPONT, DG du CHU de Nancy (54), nous sommes retournés en Lorraine, à Nancy, où j’ai encore exercé trois ans sur le même périmètre (mais dans un CHU et avec de nombreuses réorganisations liées au plan de refondation). J’ai pris la responsabilité de deux centres hospitaliers en direction commune (Pont-à-Mousson et Pompey et Lay-Saint-Christophe) à compter d’avril 2019. Durant 9 mois en 2023, j’ai en plus assumé l’intérim du centre psychothérapique de Nancy et du CH de Ravenel à Mirecourt, dans les Vosges (88), consolidant mon expérience de directrice d’hôpital et de management. Je viens de quitter mon poste de directrice déléguée de deux centres hospitaliers pour rejoindre l’agence régionale de santé Grand Est comme secrétaire générale. Quelles ont été vos principales motivations pour présenter vos candidatures à Talentueuses ? Sandrine DELAGE – Aux deux tiers de ma carrière, j’avais envie d’une formation structurante pour aborder une nouvelle phase, à la fois pour valoriser mon expérience et ouvrir de nouvelles perspectives. Une formation axée sur le service public et ouverte aux différentes fonctions publiques me semblait appropriée. Quant à la notion de soutien aux carrières féminines, je ne savais pas quelle forme cela prendrait, et j’étais curieuse de ce qui allait être proposé ! Fanny GAUDIN – Je n’avais pas connaissance du dispositif avant que Marie-Noëlle GERAIN BREUZARD, avec qui j’ai travaillé dans le cadre d’HUGO, ne m’en parle. Elle savait que j’avais initié une réflexion sur mon parcours professionnel et que cet accompagnement pouvait m’aider à projeter le champ des possibles pour la suite. J’ai fait confiance au CNG, je l’ai vu comme une opportunité pour cheminer dans ma réflexion. Sans nier la différence homme-femme dans nos fonctions, je n’ai jamais eu à connaître de différences de traitement, ce n’était pas un sujet pour moi. Pour autant, l’autocensure, la question de légitimité, ce fameux syndrome de l’imposteur ont pu limiter mes projections. Nous avons tendance à prendre pour des échecs le fait de ne pas être retenues lorsque nous candidatons. Il faut accepter de candidater sans succès immédiat, sans attendre non plus de répondre strictement à toutes les attentes formalisées sur une fiche de poste ! Marion ROSENAU BRUNEAU – Après la formation d’Hôpital Plus en 2018-2019 et
Depuis le 1er janvier 2023 et l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics, les ordonnateurs et comptables des établissements de la fonction publique hospitalière sont entrés de plain-pied dans ce nouveau régime de responsabilité. Élaboré dans une certaine discrétion associée à une communication tardive par le gouvernement, ce texte avait suscité des inquiétudes à l’approche de sa promulgation et de son entrée en vigueur. Le contexte précaire de la gestion des ressources humaines des établissements, en particulier l’enjeu médical, avait ajouté aux interrogations sur la portée et les conséquences possibles de ce nouveau régime. Un an et demi après sa promulgation, et alors que la situation de tension sur les rémunérations médicales perdure, voire s’amplifie, il est utile d’examiner les premiers pas de ce nouveau régime et la jurisprudence produite par la chambre du contentieux de la Cour des comptes. Cette jurisprudence accessible à tous permet de repérer les premières tendances. Certaines étaient attendues, d’autres sont plus surprenantes. Un nombre d’affaires modeste, a fortiori pour les établissements de la FPH La jurisprudence de la chambre du contentieux, depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance, consiste en vingt-sept arrêts, dont quatre relatifs à la gestion d’établissements de la FPH (trois centres hospitaliers et un EHPAD). En continuité avec le régime précédent de la Cour de discipline budgétaire et financière, un faible nombre d’affaires est jugé. Rapportée au nombre de contrôles des chambres régionales des comptes, la mise en cause de la responsabilité des ordonnateurs des établissements reste rare, pour ne pas dire exceptionnelle. L’extension de la portée du régime de responsabilité par l’ordonnance du 23 mars 2022 La chambre du contentieux de la Cour des comptes a commencé dès janvier 2023 à traiter des affaires en appel résultant du régime précédent de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), ainsi que des affaires transmises à la CDBF non jugées. De surcroît, dans un arrêt du 10 juillet 2023 – Centre hospitalier Sainte-Marie à Marie-Galante (Guadeloupe), la chambre du contentieux a développé un argumentaire particulièrement important sur le régime de responsabilité applicable. Elle a considéré que l’affaire devait être jugée non sur la base des règles en vigueur au moment des faits, mais sur celles de l’ordonnance du 23 mars 2022. La chambre développe un raisonnement sur l’application de la loi dans le temps que nous reproduisons in extenso : “5. Aux termes de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) du 26 août 1789 susvisée, « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». 6. Le 1er alinéa du I de l’article 29 de l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée fixe son entrée en vigueur au 1er janvier 2023. Le régime de responsabilité des gestionnaires publics instauré par cette ordonnance est de nature répressive, comme l’était le régime antérieur de responsabilité, créé par la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 et codifié jusqu’au 31 décembre 2022 au titre 1er du livre III du Code des juridictions financières (CJF). 7. Les principes généraux du droit et du procès répressif sont donc applicables au présent contentieux sous réserve des spécificités du système répressif de droit public financier. Ainsi, si les règles édictées par l’ordonnance concernant la procédure et l’organisation des juridictions sont d’application immédiate, la règle de la non-rétroactivité prévue par l’article 8 de la DDHC concernant les infractions s’impose à la Cour des comptes. 8. La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) susvisée reconnaît également le principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères, son article 7 stipulant que « nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise ». 9. Toutefois, s’agissant des infractions, le justiciable est susceptible de se prévaloir de l’application immédiate, au présent contentieux, des dispositions plus douces édictées par l’ordonnance précitée. Ce principe à valeur constitutionnelle a été consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 80-127 du 20 janvier 1981, sur le fondement de l’article 8 précité de la DDHC.” La chambre a considéré que le régime de l’ordonnance devait s’appliquer rétroactivement en jugeant ses dispositions « plus douces » que celles du régime antérieur et devait ainsi bénéficier aux justiciables. Le raisonnement qui combine principes constitutionnels, principes généraux du droit, règles européennes et jurisprudence du Conseil constitutionnel est particulièrement remarquable. L’appréciation d’un régime plus favorable aux justiciables paraît reposer sur deux éléments principaux : la nécessité d’un préjudice financier significatif pour que la responsabilité soit engagée et le plafonnement des sanctions. La chambre a confirmé sa jurisprudence sur ce point dans plusieurs affaires jugées postérieurement. Les ordonnateurs sont désormais fixés : les actes de gestion conclus avant le 1er janvier 2023 et qui seraient déférés devant la chambre du contentieux seront jugés selon les dispositions de l’ordonnance du 23 mars 2022. Premiers éléments sur la notion de préjudice financier significatif Plusieurs arrêts sont venus préciser l’interprétation de la notion de préjudice financier significatif, l’un des critères d’engagement de la responsabilité des gestionnaires publics qui avait suscité le plus d’interrogations à la parution du texte. C’est ainsi que dans la première décision de la Cour d’appel financière le 12 janvier 2024 – société Alpexpo –, plusieurs caractéristiques du préjudice financier ont été énoncées. En premier lieu, la juridiction considère qu’il n’est pas nécessaire de fixer avec précision le montant du préjudice, mais que l’estimation d’un ordre de grandeur peut suffire. Ensuite, et dans le cas d’espèce, il est considéré qu’un préjudice évalué à 15 000 euros n’est pas significatif au regard d’un montant de chiffre d’affaires de la société de l’ordre de 6 millions d’euros. Dans un autre arrêt de la Cour des comptes concernant la Régie métropolitaine Parcub devenue Metpark du 5 juillet 2024, le directeur de la régie et le directeur financier ont été condamnés en raison d’une faute grave ayant